8 décembre 2015

Ca s’appelle une « tranche de vie »

Mes chers amis,

on a peut-être pas la tête à la gaudriole mais enfin bon, il se passe des choses pas intéressantes dans ma vie donc il faut bien que je vous les raconte. N’oubliez pas que le blog repose sur un impératif apodictique “Ecris seulement des textes totalement dérisoires qui pourraient ne pas avoir d’écho universel”.

Histoire de vous appâter, on va commencer par du sexe. L’autre nuit, j’ai fait un rêve érotique. En soi, c’est déjà un évènement et, encore plus intéressant : c’était un rêve explicite. En temps normal, mes représentations nocturnes érotiques les plus hard consistent à patauger dans une piscine avec Brad Pitt. (On joue à s’éclabousser.) (Surtout lui.) Mais cette fois, j’ai rêvé que j’étais dans le lit avec le Chef. Et j’étais prise d’une envie irrépressible de baiser. Mais il dormait. Et d’un coup, j’avais une espèce de compréhension inédite de la sexualité. Ca m’a vraiment fait comme une révélation sur la sexualité en général et la mienne en particulier. Je me disais “mais j’ai qu’à le baiser quand même. De toute façon, il va se réveiller et il sera forcément d’accord.” Et je le baisais. Et il était content.

Le lendemain matin, j’avais un sentiment “d’empowerment” très puissant, presque grisant. Logiquement, je décide de partager cette histoire avec le Chef. Il m’écoute attentivement faire le récit enthousiaste de mon rêve. Puis, il me regarde avant de dire “ah… Donc ta révélation c’est que tu n’avais pas besoin de mon consentement. En fait, tu as rêvé que tu me violais.” Douche froide. Je réfléchis un peu parce que non, vraiment, dans mon rêve c’était pas présenté comme ça. D’ailleurs, à titre personnel, je pense que le viol, c’est pas bien. Là, c’était juste un sentiment de pouvoir lié au fait de décider seule, de m’abstraire du protocole classique (= s’assurer que la personne est ok). Rien à voir avec un viol donc.

– Tu avais un sentiment de puissance parce que tu décidais seule, c’est ça ?

– Oui, c’était… c’était comme si je pouvais me servir. Je me rendais compte de ma liberté et de mon pouvoir.

– Oui bah donc c’est un rêve de viol. Mais c’est pas grave hein.

– Non mais rien à voir! Je savais que tu serais d’accord.

– Sauf que je dormais.

– Oui, mais tu disais pas non.

– Ok…

– Putain… Merde, t’as raison. J’ai rêvé que je te violais et que je kiffais ça.

Je ne sais pas encore quel enseignement en tirer mais je me suis sentie un peu merdeuse.

Heureusement, je n’avais pas le temps de m’appesantir sur le sujet parce que j’ai beaucoup de choses à faire en ce moment. Notamment m’occuper des cadeaux de Noël.

En ce qui concerne Têtard, 3 ans et demi, le problème c’est qu’il a changé d’avis toutes les 24h depuis trois semaines. De mémoire, il a successivement voulu : un ours polaire, un robot qui détruit tout, une poupée qui ferme les yeux quand on l’allonge, un robot qui parle, une voiture télécommandée rose, un ninja vert, l’étoile de la mort en lego. Jusqu’au week-end dernier, où on a regardé Toy Story (Joss Whedon 4ever) et où il a fermement décidé que LE cadeau de ses rêves, c’était un Buzz l’Eclair, vers l’infini et au-delà.

De mon côté, je me suis déjà offert le cadeau de mes rêves :

Buffy-me

Mais j’ai été une enfant et je me souviens que les synapses ne fonctionnent pas toujours correctement chez eux et que ces entubeurs de la pub profitent largement du système intellectuel atrophié des petits. Moi comprise. Je me suis faite couiller plein de fois par ces connards du marketing. Prenons, par exemple, la montre Flik Flak. La pub disait ça :

C’était mon rêve. Flik et Flak avaient l’air tellement sympa. Je voulais à tout prix que ce soit mes amis. Et, par chance, j’ai eu ma montre Flik Flak. Ce jour-là, j’ai appris le mot “désillusion”. Dans ma montre Flik Flak, il n’y avait pas de petite souris qui se mettait à courir après le fromage. Il n’y avait ni rire ni chamaillerie. Flik et Flak ne me parlaient pas. La vérité : c’est qu’il n’y avait pas de Flik et Flak intégrés dans la montre. Il y avait juste deux putains d’aiguilles peintes à leurs effigies. Désolation. Absolue.

Donc j’ai voulu éviter ça à Têtard. On a une discussion assez profonde sur l’animisme et le caractère méta de la narration de Toy Story (Joss Whedon oblige). “Mais tu as compris Têtard que Buzz l’éclair, ce sera juste le jouet ? Il ne sera pas vivant comme dans le dessin animé tu sais ? Dans le dessin animé, au début Buzz l’éclair il ne sait pas qu’il est un jouet, il croit qu’il est un vrai cosmonaute. Après, il comprend qu’il est un jouet. Mais comme c’est un dessin animé, c’est quand même un jouet vivant. Le Père Noël, il ne va pas t’apporter un jouet vivant hein ?”

Comprendre : le père noël, il va t’apporter un jouet mort. Mais ça, je lui ai pas dit parce que récemment, j’avais déjà bien bien merdé avec lui. (Attention, anecdote dans une anecdote.)

Têtard est à l’âge où il parle beaucoup de la mort. Peut-être aussi que le fait de voir BFM tourner en boucle pendant les attentats a eu une légère incidence. Mais, franchement, la psy a trouvé qu’il gérait très bien. Il lui a dit que le problème pour les attentats c’est que Spiderman était arrivé trop tard.

Ce qui n’est pas faux.

Bref. (Vous le sentez l’escalier qu’on descend là ?)

Qu’il y ait une angoisse de la fin, de la mort, de la disparition, c’est normal. Mais comme je suis une super mère, j’ai réussi à lui créer une autre angoisse.

Un soir, on jouait tous les trois sur le canapé : Curly, Têtard et moi. Moi, j’aime bien parler avec Têtard. Il est pas trop con. Donc, sur un coup de tête, je lui demande : “Est-ce que tu te souviens avant que Curly naisse ?”

Têtard très sûr de lui “oui, il était dans ton ventre”. (Par contre, il ne semble pas se souvenir qu’il me crachait sur le ventre en disant “veux pas bébé”.)

“Oui, mais avant qu’il soit dans mon ventre, tu t’en souviens ?”

Son regard vascille un peu. Je sens que j’ai gaffé et j’essaie d’attirer son attention sur autre chose “oh, regarde, une publicité pour une crème anti-rides!” mais il est trop tard.

“Mais… Il était où Curly avant d’être dans ton ventre ?”

“Et bah… il n’existait pas.”

Au fond de ses yeux, j’aperçois les feux de l’angoisse s’allumer.

“Non mais il était où ?”

“Il était nulle part. Il n’existait pas. C’est tout. Comme toi. A un moment, tu n’existais pas.”

Là, il s’est décomposé et a commencé à crier comme un nazi qui voudrait me faire avouer mon abominable crime :  “On était dans ta bouche ?!!! TU NOUS AS MANGES ???”

Voilà. (Vous noterez l’esprit logique de cet enfant. Avant d’être dans le ventre, tu es dans la bouche.)

Une réussite cette discussion. En même temps, comment je pouvais savoir qu’un gamin de trois ans n’est pas capable de conceptualiser un espace-temps dans lequel il n’existait pas ? Comment je pouvais imaginer qu’il n’y avait pas que l’angoisse de la mort, mais du non-être en général ?

Bref, revenons à Buzz l’Eclair. Rassurée par notre discussion, je pars à la recherche d’un Buzz l’éclair en me demandant où je vais trouver ça (vu que ça a quand même 20 ans). Arrivée à Jouet Club, je vois ça :  

Buzz-eclair

Ok. On est un troupeau de mères prosternées devant le rayonnage où trônent des dizaines de Buzz l’éclair, tous affligés du même terrible problème de prognathisme. Parfois, une mère ose effleurer une boite et on entend “Bonjour, je suis Buzz l’éclair. Vers l’infini et au-delà”. Et puis, je me penche un peu plus et je regarde la petite étiquette en-dessous. Et là, je vois 99 euros. C’est marrant, j’ai lu le prix et immédiatement mon anus s’est dilaté.

WHAT ?

Alors, il y avait 3 prix, 99,99 euros, 84,99 euros et 54,99.

J’ai acheté le moins cher et j’ai pas pu m’asseoir pendant une semaine. (Quelqu’un sur Twitter me disait qu’il avait voulu faire le malin et en acheter un pas cher sur e-bay. Résultat, le truc répète “verso l’infinito e oltre”.)

Pour Curly, je décide unilatéralement de trouver un cadeau qui nous permettra de dormir. Parce que depuis quelques jours Curly hurle dès que je le pose dans son lit, puis à chaque fois qu’il finit un cycle de sommeil. Et le matin à partir de 6h. J’achète donc une veilleuse-berceuse de compétition, un truc qui pourra l’occuper quand il est réveillé (d’après le descriptif, le truc est censé balancer des feux d’artifice dans la chambre pendant qu’un orchestre symphonique au complet se met à jouer). Mais Noël, c’est dans beaucoup de nuits, c’est dans beaucoup d’heures de sommeil gâchées par ses hurlements comme j’en ai fait la douloureuse expérience mercredi soir. Ce soir-là, j’étais claquée. Je me mets au lit et je m’apprête à m’endormir devant des images qui bougent de New-York Police Judiciaire Unité Spéciale Histoires Glauques. A la minute où un nourrisson se fait violer par un clown qui se révèle être le beau-frère de sa mère, c’est-à-dire au moment où je m’endors paisiblement, Curly commence à m’appeler en chouinant. “Maaaamaaaannnn”. Je l’ignore parce que si je le prends dans les bras dès qu’il crie, on en sortira jamais et puis dans l’épisode on en est au moment où on découvre que ce n’est pas le clown beau-frère qui a assassiné le bébé en le mettant dans le four. Sauf qu’à minuit, Curly monte en volume et qu’il risque de réveiller Têtard. Je craque.

J’y vais, je le prends dans mes bras, je le ramène dans la chambre, je l’installe confortablement calé sur mon oreiller, serré contre moi. Il me regarde, il me sourit et il me gerbe dessus. Tranquille. L’odeur de petit pot tomate/poulet macéré, pas digéré depuis 5 heures se répand partout. Je pars le changer, et donc je ne saurai jamais si c’est la mère qui a voulu protéger son beau-frère ou si ce n’est pas simplement le voisin qui a confondu le bébé avec un gigot. Je me rends compte que j’ai du vomi dans les cheveux mais j’ai sommeil. On retourne dormir dans cette douce odeur. Etonnamment, je dors mal.

Le lendemain matin, j’accompagne Têtard à l’école, la gueule en vrac. L’équipe scolaire et les autres parents d’élève ont l’habitude. Ils savent que je viens de me lever, que j’ai avalé une tasse de thé, mis des baskets, un manteau et que ma présence en ces lieux à une heure aussi matinale relève du miracle.

Ensuite, je passe la journée à bosser pour faire la newsletter de Slate. Ce qui est l’occasion pour nous d’en parler un peu puisqu’il s’agit de mon nouveau travail et que ça a un lien avec le blog. Parce que ce n’est pas une simple newsletter. J’y écris toutes les semaines un texte, le genre de trucs que je postais avant sur le blog, et j’y mets une revue des liens que j’ai aimés.

Avant de vous inscrire (ICI), vous pouvez aller voir ce que ça donne.

Y en a eu plusieurs.

Voici la 2ème. Voici la 3ème. Voici la 4ème. L’avant-dernière. Et la toute dernière. 

A partir d’ici, je vous propose de faire une petite pause et d’aller aux toilettes ou de bosser un peu, parce que vous aurez peut-être remarqué que ce post est obscènement long. (J’avais hésité à le couper en deux.)

Donc après une nuit de merde et une dure journée de labeur, je pars chercher Curly à la crèche. On me le tend en me disant “bon courage hein”. Ok. On va chercher Têtard au centre de loisirs. On rentre. Je leur fais à bouffer. Curly pleure, crie, râle. Et Têtard parle parle parle. Et au milieu de ce bordel, j’ai une sensation bizarre que j’identifie comme “je me sens pas bien”. Quelques minutes plus tard, elle se transforme en tête qui tourne. J’ai l’impression que je vais m’évanouir. Je calcule alors que je n’ai pas mangé depuis 24h. Je me fais à bouffer des pâtes à la carbo dégueu. Comme Curly refuse que je mange à table et que je veux qu’il se la boucle, je mets mon assiette sur la table basse, je m’installe devant en tailleur, je commence à manger. Curly vient à côté de moi et… putain. Et il gerbe dans mon assiette. Alors, mettons-nous d’accord. Le vomi c’est dégueulasse. Voir quelqu’un vomir alors que t’as de la bouffe dans la bouche, c’est vraiment immonde. Mais en plus le mélange de son vomi dans mes pâtes, c’était vers l’infini et au-delà de l’horreur. Après, il hurle. Normal. Je prends un sopalin qui trainait sur la table pour lui essuyer la bouche quand Têtard nous rejoint, pantalon et culotte sur les chevilles. Il se met dos à moi et se penche en avant, jusqu’à ce que ses mains touchent par terre. Pourquoi ? Parce qu’il avait fait caca et qu’il voulait que je lui essuie le cul. J’ai donc à ma gauche un bébé plein de gerbe, sous mon nez mes pitoyables pâtes au vomi, et devant moi, en frontal, un petit anus entouré de merde.

Là, mes amis, j’ai cru que j’allais totalement basculer dans la folie. C’était plus que je ne pouvais supporter. D’une main j’essuyais la bouche de l’un, de l’autre les fesses du grand. Finalement, j’ai attrapé mon téléphone et envoyé un très sobre “Tu rentres à quelle heure ?” au Chef. “20h45”. Il était 19h30.

J’essaie de réparer un peu tout ça. J’ai toujours envie de m’évanouir. Alors je fais l’une des choses les plus ignobles depuis que l’humanité est sur terre. J’essaie de trier dans mon assiette quelques lardons intacts et je les bouffe. Pendant que Curly continue de hurler. Et que Têtard sort de je ne sais où un réveil mécanique et s’amuse à faire ding ding ding à côté de mon oreille.

Finalement, je ne sais plus trop comment, je parviens à ne pas me suicider. Je réussis même à les coucher. 21h, le Chef rentre : je suis donc en jogging dégueu, affalée sur le canapé et je regarde d’un oeil vide l’écran de la télé. Envoyé Spécial. (J’en étais là oui.) (Je comprends mieux qui sont les téléspectateurs d’Envoyé Spécial. Des gens qui viennent de se faire gerber dessus.) Je suis épuisée. Et à bout de nerfs.  

Et là, vous croyez que c’est fini ?

Bah non. Parce qu’il se trouve que ce soir-là, je devais aller à l’émission d’Antoine de Caunes pour une petite interview sur les trolls.

21h30 je me change péniblement.

21h45 je rampe dans le taxi. J’envisage de lui dire “changement de programme, emmenez-moi à Orly.” Je passe 15 minutes à m’imaginer allongée seule sur une plage de sable fin.  

22h15 j’arrive dans l’espace VIP de l’émission. Je suis fracassée. Je veux dormir. Je ne veux plus jamais me relever. On propose de me prendre mon manteau. Je refuse, je me pelotonne dedans et m’avachis dans un fauteuil. Le barman vient me tendre une coupe de champagne. Je le regarde sans comprendre. Je lui dis que non, je vais prendre un verre d’eau. Il insiste et me propose du vin. Il ne sait pas que je n’ai ni mangé ni dormi depuis plus de 24 heures. Je bois un verre d’eau plate.

On m’emmène au make-up. Il est 22h30. Soit l’heure où normalement je me démaquille. Une dame m’étale sur le visage la moitié de sa valise à maquillage. Je croise la Fouine et Bonjour tristesse. Le mec de Bonjour Tristesse a l’air hyper en forme (je soupçonne qu’il n’a pas d’enfant), super à l’aise. La maquilleuse l’adore. Elle glousse à tout ce qu’il dit. Ca m’agace.   

23h On m’emmène sur le plateau. Je suis derrière un pan du décor avec des techniciens. De Caunes fait son lancement. “Elle est belle, elle est brillante, elle est drôle” l’un des techniciens se retourne vers moi et me fait un clin d’oeil. Je suis un peu gênée quand même. Je souris avec modestie. “Je vous demande d’accueillir Alison Wheeler!”

Le mec prend un air désolé pendant qu’une meuf me dit “Titiou, c’est à toi dans cinq minutes”. Je suis très gênée. Je souris avec indifférence.

Ensuite, on m’installe sur le plateau dans un fauteuil face à Antoine de Caunes. Je découvre donc que l’interview se fait juste entre nous, sans autre invité. Mais en public. Qu’on est physiquement assez proches. Et qu’il n’y a pas de table. Je suis un peu déstabilisée. Mais ça va. Je m’assois. Il y a les projecteurs, mon maquillage de star de cinéma, des gens dans le public, Antoine de Caunes à 40 centimètres de moi et je me rappelle qu’une poignée d’heures avant, j’avais une main pleine de vomi, et l’autre de merde.

Mais bon, ça devrait bien se passer. Je suis là pour répondre à des questions sur les haters et les trolls. Ca va durer 10 minutes. A la télé, quand t’es dans les rails, tout se passe bien. Parfois, tu sors des rails et c’est pas cool. C’est le moment où tu commences une phrase et tu n’as aucune idée de comment la finir et tu enchaînes des mots les uns après les autres et ce que tu dis n’a plus de sens et c’est très désagréable et vertigineux. Là, je me dis “je reste bien dans les rails. Je fais des petites phrases parce que vu mon état, faut pas être trop ambitieuse en terme de langage.”

De Caunes me pose des questions, c’est rigolo. On rigole. Ca se passe vraiment bien. A un moment, il me demande “mais vous, Titiou, en tant que jeune femme séduisante, vous ne rencontrez pas des problèmes sur Internet ?”

Là, normalement, je dois enchainer pour parler du sexisme sur les réseaux sociaux. Mais, va savoir pourquoi, c’est pas du tout ça qui sort de ma bouche. Mais alors vraiment pas du tout. “Ah non mais moi, sur ma photo de profil, j’ai un bison mort sur la tête donc ça va, je me fais pas draguer ou harceler”.

Regard d’Antoine de Caunes. “Un bison mort ? C’est-à-dire ?”

Je ne sais pas comment lui expliquer. “Oui, enfin… bah vous regarderez sur Twitter hein”.

“Non mais un bison mort… On peut avoir la photo s’il vous plait ?” il demande ça en montrant l’écran géant à côté de nous. Et là, la régie affiche sur l’écran la photos de deux femmes à moitié nues allongées l’une sur l’autre.

“Ah non, c’est pas ça. J’ai pas des fesses mortes sur la tête”.

Evidemment, à partir de là, on a complètement déraillé. On ne savait même plus de quoi on parlait. J’ai lamentablement réussi à raccrocher les wagons pour arriver au sexisme sur Internet.  Bah avant c’était vachement le concours de bite. Non, pire que ça, les olympiades de la bite. Je ne sais pas pourquoi mais à mesure que je parlais, je me suis rendue compte que je n’arrêtais pas de dire “bite”. Bite bite bite bite. J’ai quand même fini sur “maintenant c’est plus les osselets de la bite”. Je n’avais absolument aucune idée de ce que ça voulait dire. De Caunes non plus vu qu’il m’a regardée bizarrement en précisant “j’essaie de visualiser”.

Finalement, à 1h du mat, je suis chez moi.

1h30 j’ai fini de me démaquiller.

1h45 je me couche. ENFIN.

2h je fais une insomnie.

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17 novembre 2015

C’était pas moi

On a tous le même échange. Le pudique “Et toi ? Ca va ?” Auquel on répond oui. Oui, ça va parce que je suis en vie, pas blessée et que je n’ai perdu personne. Alors oui, ça va. Je ne vais pas me plaindre.

Mais la vérité, c’est que ça ne va pas du tout.

Et l’autre vérité, c’est qu’on s’en fout. On s’en branle que je reste parfois le regard dans le vide et que je chiale alors que je ne pense à rien. (Même si d’un point de vue biologique, je ne pensais pas que c’était possible.)  

Si j’écris, c’est que je me dis qu’on est sans doute plusieurs dans cet état. Et plusieurs à ne pas le supporter. Je n’ai pas été touchée directement, et pourtant je erre comme un zombie, assommée par le choc.

robabée

La dessinatrice Robabée.

 

 

C’était ni toi ni moi. Mais c’était quand même nous. Mais c’était quand même pas moi. (Oui, en ce moment, j’ai des capacités logiques et linguistiques limitées.) Et je m’en veux. Je culpabilise de mon état. Les survivants vont culpabiliser vis-à-vis des morts. Et moi, je culpabilise par rapport aux survivants et aux endeuillés, d’être dans cet état de choc alors que j’ai eu tellement de chance. Je n’ai perdu aucun proche. Je n’étais ni en terrasse, ni au Bataclan. J’étais à un concert, certes, mais à la Cigale. Géographiquement, c’est pas à côté. Et pourtant, j’ai basculé dans la sidération.

Pire. Je suis devenue une grosse abrutie. Dans tous les sens du terme (pour abrutie hein). Parce que “ça ne va pas”, ce n’est pas juste être triste. C’est être en mode zombie catatonique, puis pleurer un peu, puis se sentir totalement blindée, insensibilisée, puis envahie par la rage. C’est être traversée par tout un tas de pensées et de sentiments contradictoires. Avoir des réactions totalement irrationnelles. S’énerver pour rien. Trouver les gens insupportables. Et l’instant d’après tellement émouvants. Je me suis réjouie du bombardement du camp d’entrainement de Raqqa. Moi. C’est horrible. Ca, ça prouve bien que ça ne va pas. J’ai dit “il faut les fumer ces batards”. Moi. La même personne qui tenait de grands discours devant la réaction militaire des Américains après le 11 septembre. Evidemment, je sais que c’est cet ancien moi qui a raison. Pas le truc sclérosé, recroquevillé, rageux qui prétend me servir de cerveau en ce moment.

Ces réactions, je les aurais acceptées d’un survivant ou de quelqu’un qui a perdu un proche.

Là, je me trouve profondément conne de me sentir mal et de penser mal. Je n’ai aucune justification pour être dans un état pareil.

Bien sûr, ce sont nos endroits, nos habitudes de vie qui ont été visés. Bien sûr, quand je regarde les photos des victimes, j’ai l’impression que je les connais tous. Et je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est un putain de miracle de n’avoir aucun ami dans la liste des morts. Un miracle qui frôle l’aberration. Au point que je consulte frénétiquement la liste des victimes, avec toujours la même stupéfaction de n’y voir aucun de mes proches.

Bien sûr, toute l’année, on a attendu l’attaque suivante. Après Charlie, plusieurs personnes se sont étonnées, sans méchanceté hein par pure curiosité, de ma réaction et m’ont demandé pourquoi j’étais à ce point affectée par ces attentats. L’une des raisons c’est que j’ai vécu janvier dernier comme un moment de bascule. Un message très explicite qu’on nous adressait. Ce n’était pas la fin de quelque chose, seulement le début. A partir du 7 janvier, on vivait dans un autre monde, une autre période. Et c’est une raison supplémentaire pour que ma sidération actuelle m’exaspère.

Ca va passer bien sûr. Je vais récupérer mon cerveau. En attendant, je compte sur les autres pour décrypter le virage sécuritaire du gouvernement, la révision constitutionnelle, le renforcement de la surveillance d’Internet, toussa quoi.

Méfions-nous. On n’est pas dans notre état normal, on perd nos facultés de juger. On se laisse séduire par des discours que nous condamnions avant. Méfiance. Ne devenons pas notre propre ennemi.

Je me méfie aussi de ce que j’écris. J’en ai gratté des pages depuis samedi. Mais je ne les publierai jamais parce que poster sur Internet, blog ou tweet ou statut, c’est prendre une parole publique, c’est être responsable. Or en ce moment, je ne suis pas vraiment responsable, je dois faire très attention.

Pour finir, je vais arrêter de ressentir confusément que je n’ai pas le droit d’être dans ces états émotionnels. Parce que le premier pas pour se remettre d’un trauma, c’est de l’accepter. On n’est pas des imposteurs qui volent la vraie douleur ailleurs. Malheureusement, la douleur est un bien illimité.

 

On a le droit. D’être enragé, en larmes, vidé. On a le droit d’être traumatisé sans avoir eu de contact direct avec les attaques. Tous. Y compris ceux qui n’étaient pas là, pas là aux terrasses ou au Bataclan, pas là à Paris, pas là en France. Ceux qui vivent en province, ceux qui étaient/sont à l’étranger. C’est quelque chose de plus fort. Un noyau chaud qui vous fait sentir que vous aussi vous avez été ciblés. On n’est pas traumatisés pour rien mais parce qu’on a été attaqués. Et pas symboliquement. C’est extrèmement concret ce qu’on vit. (Il suffit de prêter attention aux sirènes qui retentissent désormais en permanence.) Ceux qui sont traumatisés, le sont parce qu’ils savent, ils sentent intimement qu’ils étaient visés. Et c’est une raison suffisante pour être en état de choc.

 

 

bataclan-avant

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14 novembre 2015

Le 13 novembre

Samedi 14 novembre. La gueule de bois. Pas vraiment la même.

Je ne vais pas écrire sur le courage du peuple de Paris. Parce que le peuple de Paris que je connais, c’est celui qui sort le vendredi soir pour se démonter la tête. Evidemment, hier, à peu près tout mon entourage était dehors. Qui dans un bar, qui à un concert, un autre au stade de France. C’est normal, c’était vendredi soir. Le soir où on boit, trop. On se couche tard, trop. On couche, tout court et parfois avec n’importe qui. On écoute de la musique trop fort. On traine dans Paris à la recherche d’un taxi. On crie dans la rue. On se fait engueuler parce qu’on est dehors avec un verre d’alcool. Parce qu’on fume en riant trop fort et que ça dérange les “riverains”. C’est notre soir. Celui où on décompresse. Celui où on s’autorise un peu de n’importe quoi.

Coming-out : un de mes premiers souvenirs au Bataclan c’est d’y avoir vu un spectacle de Michaël Youn. C’est con hein ? Et c’est con de penser à ça là. Mais ça dit aussi à quel point ces lieux nous sont familiers. Ce n’est pas seulement notre paysage urbain quotidien, c’est notre paysage mental. Ces lieux sont devenus synonymes d’évènements historiques qu’on trouvera dans les manuels. Du sang, des corps. Des images des mecs qu’on croise tous les jours qui tirent des cadavres. (Cette vidéo surtout.) Et quoi alors ? Aller déposer des fleurs devant le Bataclan ? Appeler Chryde, la dernière personne avec qui j’ai bouffé à la Belle Equipe, pour qu’on aille y mettre des chrysanthèmes ?

A la place, j’écris. C’est con aussi. C’est trop tôt. Mais c’est tout ce que je sais faire. A défaut de boire.

A Paris, hier soir, la vie tenait aux places dispos en terrasse et à vos goûts musicaux. Que vous préfériez le métal ou le rock. Les attentats de janvier ciblaient des gens qui représentaient quelque chose : dessinateurs / policiers / juifs. Hier, c’était juste nous. Des gens qui aiment bien sortir pour faire la fête. On est pas méchants. En général, le vendredi soir, on est surtout un peu cons. On a jamais eu l’impression de représenter quoique ce soit. Surtout pas le week-end. Le vendredi soir, on dépose les costumes sociaux habituels. Le vendredi soir, on est n’importe qui.

Hier, le concert des Districts était vachement bien. Même si on aurait dit que le mec des lumières avait appuyé sur le bouton “aléatoire” avant de partir s’acheter un paquet de granola. C’est ce que j’ai dit pendant que tout le monde prenait sa bière au bar. Quelque minutes plus tard, je suis sortie de la Cigale avec mon amie Diane et le vendredi soir était en train de basculer. Pas juste ce vendredi soir-là. Le concept même de Vendredi Soir. J’ai traversé l’Est de Paris. J’ai pleuré. Tout de suite. Pas d’état de choc parce que ça fait des mois qu’on s’y attend. Qu’on en parle. On est combien à avoir partagé l’interview de Trévidic en septembre ? Diane a pris les choses en main, elle a trouvé un taxi. Elle m’a donné de l’argent. (Oui, le taxi m’a fait payer la course.) En arrivant chez moi, j’ai découvert l’état d’urgence. Le Président qui fait fermer les frontières. Des mots qui nous sont étrangers. Presque exotiques. Des mots qui, jusqu’à aujourd’hui, n’avaient aucun rapport avec le fait de sortir picoler le week-end.

J’espère qu’on continuera à aimer faire la fête dehors mais je ne jugerai pas ceux qui préfèrent rester en sécurité.

Oui, bien sûr, on était prévenus.

Mais on n’est pas un courageux peuple de Paris. On n’a pas fait de la résistance. On est juste des fêtards un peu cons. Franchement, les mecs, on ne méritait pas tant d’attention.

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29 septembre 2015

Vacances en immersion – Part 2

Attention ami lecteur, ceci est la suite d’un texte qui commence donc précédemment.

Quand tu as moins de 55 ans et que tu te retrouves à patienter devant le Monop à l’ouverture, tu deviens ipso facto un objet d’exotisme pour toutes les personnes âgées qui sont présentes. Elles te regardent en souriant comme si le fait d’être calée sur leur rythme biologique impliquait que tu avais rejoint leur univers. En même temps, l’expérience m’a plu pour une raison que ne comprendront que les gens qui, d’après moi, devraient sérieusement aller consulter un psychiatre : ça me donnait l’impression d’être grande. Je jouais à l’adulte. (Mon rapport au réel est essentiellement basé sur des jeux de rôle.) Et là, je pouvais difficilement faire plus “adulte” que de jouer à la meuf qui trimballe ses gamins en pyjama pour faire l’ouverture du supermarché.

Par contre, aux alentours de 10h30, j’en avais ras-le-bol de jouer à l’adulte responsable. Mon moi intérieur, qui est donc âgé de 5 ans, avait besoin de pioncer. C’est le moment où tu penses aux autres parents et tu te demandes pourquoi ça a l’air facile, ou au moins naturel pour eux, de gérer le quotidien alors que toi, t’as l’impression de vivre une expérience extrême.

Maman, les mouettes elles font le même bruit que les sirènes des pompiers.

Pendant ces quelques jours, j’ai aussi pas mal pensé à ma mère. De même que je n’ai aucun souvenir de l’avoir vue coudre des étiquettes à mon nom sur mes fringues (après vérification, elle m’affirme qu’elle l’a fait), je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu galérer comme ça. Jamais. Ceci étant, elle a fait deux enfants avec 15 ans d’intervalle, ce qui lui a permis de gérer simultanément le bac de l’une et les couches de l’autre.

Je n’ai qu’une photo où elle a l’air d’en chier à cause de moi. (Justement en vacances, comme quoi…)

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(c’était ma période sans culotte)

Et une où clairement elle gère par la décontraction une crise de ma soeur.

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Après des matinées aussi folles, retour bien mérité à la maison. (Vers 10h30 donc.) La maison, le lieu de vacances où tu te reposes, tu souffles un peu. Mais pas dans mon cas. Parce que qui dit maison de vacances, dit maison non sécurisée, dit danger de mort à chaque coin de meubles. Et ce qui fonctionnait très bien à deux adultes, se révèle nettement moins pratique à un. Par exemple, la cour où les enfants pouvaient jouer était joliment agrémentée d’une arme de mort.

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Et l’intérieur de la maison (pour aller du salon/cuisine aux toilettes par exemple) :

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On dit que les parents ont des yeux derrière la tête. Bah ils ont bien de la chance parce que pas moi.

Et du coup, je me suis retrouvée face à des choix cornéliens. Par exemple : chier ou surveiller ma progéniture. Il faut savoir que j’ai le caca présidentiel. Pour mon organisme, le caca, c’est maintenant. Pas dans dix minutes. Si caca il y a, je dois courir aux chiottes, ce qui implique de laisser les enfants seuls. Donc à chaque fois que je suis allée aux toilettes, j’étais perclue de culpabilité. Je m’imaginais Têtard ou Curly mourir dans un escalier, la police ou leur père me demander “vous étiez où ?” et comment oserai-je répondre “aux cabinets” ?

Dès le deuxième jour, j’ai pris conscience que j’allais être confrontée à un autre sérieux problème : l’alimentation.

La mienne. Les premières 24h, je me suis nourrie d’une fin de sucette saupoudrée de grains de sable que Têtard avait laissée trainer par terre et j’ai raclé des fonds de petits filous. Figurez-vous que mes enfants font quatre repas par jour. Chacun. Et qu’ils ne mangent pas la même chose. 8 repas par jour. En 48h, j’en avais déjà servis 16, j’avais l’impression de rebosser à la trattoria des Champs-Elysées. Le problème étant que ce boulot de serveuse, je l’avais lâché au bout de 12 heures parce que je trouvais ça ultra chiant. Il avait fallu me rendre à l’évidence : je préférais niquer les serveurs qu’être serveuse. Autant dire que me préparer un déjeuner, c’est un truc qui m’a tout de suite semblé injouable.  

Mais je pouvais peut-être miser sur le fait de bouffer le soir. Sauf qu’après la plage, la douche de l’un des deux (je tirais au sort lequel j’aurais le courage de laver), la bouffe de l’un, la couche à changer, la bouffe de l’autre, l’engueulade entre les deux pour la tablette (oui, déjà), l’histoire et le câlin de l’un, l’histoire et le câlin de l’autre, il était 21h et le dernier truc dont j’avais envie, c’était de me faire à manger. Evidemment, j’aurais pu aller me chercher de quoi grailler dehors. Sauf que nos normes sociétales actuelles interdisent de laisser des enfants dormir seuls dans une maison même dix minutes. Du coup, j’ai repensé à Hemingway. 

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L’époque bénie où tu laissais ton bébé seul plusieurs heures dans son lit à barreaux pendant que t’allais glander au café…

Bref. J’ai finalement trouvé la solution définitive à mon problème d’alimentation :

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Dieu n’a pas créé que l’univers, il a également inventé le pâté. Un truc salé, comme ça, t’as quand même l’impression de faire un vrai repas, qui ne nécessite pas de cuire quoique ce soit, tient au corps et demande un minimum de temps et d’énergie. (Parce que ces « vacances » auront été le moment pour approfondir ma théorie selon laquelle le temps, c’est de l’énergie.)

Ensuite, il fallait aller à la plage. J’adore la plage. D’abord, j’aime me baigner dans la mer. Pas dans une piscine. Si vous voulez mon avis, les gens qui disent « moi, je préfère la piscine » sont sans doute les mêmes peine-à-jouir qui utilisent des ronds de serviette. Mais là, seule avec deux petits, la mer est restée un truc à la fois très proche (de quatre mètres) et complètement inaccessible.

Et ce que je préfère c’est quand tu reviens de ta baignade. Tu t’allonges sur ta serviette et tu fermes les yeux. Au début tu as un peu froid et puis le soleil commence à te piquer. Si tu entrouvres les yeux, en te concentrant bien, tu peux même réussir à voir le sel collé entre tes cils. Tu refermes les yeux et tous les bruits te parviennent différemment, à la fois plus précis et éloignés.

Là, au lieu de me détendre, j’ai dû rester dans un état de vigilance maximale.

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Bon, gros coup de bol, Curly a horreur du sable donc il ne quittait pas l’espace délimité par la serviette. Par contre, surveiller Têtard s’est révélé au-dessus de mes capacités. Un échec cuisant. Dès le premier jour, on allait rentrer à la maison quand j’ai perdu simultanément ma sandale et mon fils. C’est-à-dire que je cherchais désespérément ma sandale dans le sable, sandale qui avait sans doute été enfouie par l’enfant en question, quand j’entends 45 secondes de silence. Effrayée, je lève la tête. Plus de Têtard. Je ne peux pas courir pour le chercher vu que j’ai la poussette avec le Curly. Je remonte donc péniblement la poussette jusqu’aux planches, je lance un dernier regard à la plage où se trouve ma sandale, et puis je pars en roulant à la recherche de l’enfant. Que j’ai retrouvé très loin devant. Il avait entendu que je disais “on va rentrer” et il s’était barré, tranquille. J’ai donc fait le chemin de retour avec une seule chaussure, la bave aux lèvres, vociférant sur Têtard que je secouais d’une main tandis que je manoeuvrais la poussette de l’autre, et en prime mes lunettes de soleil cassées dans la panique. J’avais l’impression de faire le chemin de croix d’une Cersei version Lidl.

Lors de ces trajets à pieds, je me suis beaucoup interrogée. A chaque fois que je croisais d’autres parents, je cherchais des indices pour me rassurer. Peut-être que simplement les autres parents dont j’ai l’impression qu’ils gèrent si facilement, galèrent aussi mais que ça ne se voit pas au premier coup d’œil. (Une perspective rassérénante puisqu’elle sous-entend son inverse à savoir que possiblement, je n’ai peut-être pas l’air de galérer non plus vue de l’extérieur. Même si les regards compatissants de 90% des gens que je croise me laissent un doute quant à cette hypothèse.) Sauf que non. Je vois bien que les autres parents ne rentrent pas de la plage pieds nus, qu’ils n’ont pas perdu une chaussure en route qu’ils n’ont pas pu chercher parce que leur gamin avait fugué. Je vois bien que leurs lunettes de soleil ne sont pas pétées et portées de traviole. Je vois bien que leurs gamins n’ont pas des traces de morve séchée qui remontent sous leurs yeux. Je vois bien que leurs fringues et leurs cheveux sont propres. J’en ai même vu, le père, la mère, le gosse de 3 ans qui portaient tous les trois des shorts beige. BEIGE. 

Evidemment, ils avaient sans doute une machine à laver, alors que notre maison de vacances en était dépourvue, possibilité que je n’avais pas vraiment envisagée quand j’avais préparé les valises. Mais en fait, vu notre degré de crasse, il aurait suffi qu’un t-shirt propre entre en contact avec la peau de mes enfants pour se retrouver souillé de tâches de gras. Heureusement, ce n’était pas près d’arriver. J’avais pris un seul pyjama pour Têtard qu’il renfilait tous les soirs pour s’endormir dans l’odeur du nesquick qu’il renversait dessus chaque matin.

Et dans le genre dialogue de la la honte : INT/JOUR 21h. Salle de bain.

Têtard « Maman, on n’a pas lavé mes dents aujourd’hui. »

Moi « Ah oui… » Gros plan sur le visage exténué de la mère. « On fera ça demain hein, c’est pas grave. »

Têtard « Mais hier non plus. »

Moi « Ah oui… C’est vrai… »  

Silence lourd de sens que Têtard n’a malheureusement pas la finesse de saisir. Il a fallu qu’il se mette à hurler « je veux me LAVER LES DENTS!! » réveillant du coup Curly, double source de cris enfantins, pour que je cède. Cette fois-là.

Parce que dans cette configuration avec mes enfants d’amour, il a fallu faire des choix. Et j’ai unilatéralement décidé que l’hygiène, on pouvait s’en passer.

Et en même temps, il y a eu un phénomène assez remarquable. J’en chiais mais le fait d’être en permanence avec eux me donnait envie d’être encore plus avec eux. (Alors que là, concrètement, c’était pas possible de faire plus, à moins de me rétrécir à une échelle microscopique pour pouvoir entrer dans leur organisme.) Ils agissent comme une drogue. (Et à l’instar de la drogue, ils sont en train de niquer ma santé.) En fait, j’ai développé un syndrôme de Stockholm avec mes propres gamins. Autre effet secondaire : la raison qui vacille. En état de privation de sommeil et coupé de tout contact avec d’autres adultes, tu as des moments de folie. Les verrous qui sautent. Ces moments sont très faciles à identifier. C’est par exemple quand tu te mets à quatre pattes dans le salon et que tu imites le cochon qui vomit. (J’ai aussi fait une imitation d’orang-otan qui déclame du Corneille mais ils ont moins aimé. Ils n’ont aucun goût.) Bref, ça, c’est hyper cool. Tu t’autorises n’importe quoi devant d’autres êtres humains qui, de toute façon, quoique tu fasses, ont chevillé au corps la conviction que tu es la chose la plus merveilleuse de l’univers. Je ferais caca sur la table, ils applaudiraient à tout rompre. (Ca ne va pas durer, je sais. Mais c’est quand même la première fois de ma vie que ça m’arrive.) (Non, ma mère aurait modérément apprécié que je chie sur la table en bois du salon.)  

Un autre jour, Têtard a voulu jouer dans le square derrière la plage. J’ai trouvé un endroit stratégique qui me permettait à la fois de laisser la poussette à l’ombre et de surveiller Têtard. Il se trouve que cet endroit se situait à côté de la poubelle. Et bin, je me suis rarement sentie autant en adéquation avec mon environnement. Et puis, au moins, on ne faisait pas tâche. Et c’est comme ça que j’ai fait connaissance avec les dames au fond. (Et j’ai eu droit à mon énième : “Oh mais vous savez, là c’est difficile, mais dans quatre ans, ça roulera tout seul.”)

plage

Mes copines de vacances.

Heureusement, ces vacances ont été sauvées par l’intervention de deux hommes. C’est-à-dire qu’à un moment, tu as besoin de respirer et de retrouver le monde normal, un monde où tu ne t’écries pas « ohhh… un chien! » à chaque fois que tu croises un clebs. Seul(e) avec tes enfants, tu es en immersion dans un univers particulier, un monde parallèle régi par des lois absurdes, où tu acquiers des réflexes à la con comme imiter le cri de chaque animal après avoir dit son nom (« oh, un chien! Waouf waouf! », « oh un chat, miaou »).  

D’abord, Guy Birenbaum m’a récupérée dans un bistrot. Il m’a regardée, il m’a écoutée et il m’a dit “t’inquiète, j’appelle mes filles, elles vont un peu s’occuper des enfants”. Ensuite, j’ai vu trois nymphettes débarquer. A la plage, je les ai écoutées se battre pour savoir laquelle ferait à manger à leur père le soir pendant qu’il me parlait des livres qu’il avait lus. J’étais émerveillée.

Ensuite, il y a eu le voisin. Un après-midi, pendant que Têtard faisait la sieste (vu qu’ils n’étaient pas calés sur les mêmes horaires), je faisais la vaisselle. Curly en a profité pour traverser la cour, tourner à gauche, entrer dans la cour de la maison voisine, la traverser et monter l’escalier. Tout ça, à quatre pattes en marchant comme un varan. Il n’avance pas les bras vers l’avant, il fait un mouvement de rotation de l’épaule pour que son bras effectue un demi-cercle. Et il peut aller hyper vite. Grosso modo, lancé à pleine puissance, ça donne ça :

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Du coup, j’ai fait connaissance avec le voisin, un mec très sympa qui avait deux fils, mais des grands, et me regardait avec la compassion que je lisais dans le regard des gens depuis le début de mon épopée monoparentale. Il a pris Curly dans ses bras, plus tard il a installé Têtard à une table, est allé nous chercher des croissants, m’a fait du café et m’a raconté qu’il était scénariste.

Là, j’aimerais que vous vous mettiez à ma place. Je suis dans la maison d’un inconnu qui berce mon bébé varan, je n’ai pas dormi depuis 48h, la veille au soir j’ai mangé du pâté étalé sur un BN fraise parce que j’avais plus de pain et que j’aurais bouffé n’importe quoi, j’ai passé la matinée à mimer une truie en train de gerber, j’en suis là, c’est-à-dire dans un autre espace-temps – ou un épisode de Doctor Who – quand cet homme me raconte que pendant 10 ans, il a été scénariste de… Smallville. (Au bout de dix ans, le pool de scénaristes a été remplacé par un logiciel.)

Pour les néophytes, Smallville, ça racontait l’adolescence de Superman.

Moment le plus WTF de mes vacances. Là, j’ai cru que je m’étais auto-définitivement-perdue pour moi-même.

Bref, à la fin de cette expérience, j’étais plutôt fière de moi. Une fierté pas partagée par le Chef qui m’a dit « je n’ai jamais vu des enfants aussi sales. Mais qu’est-ce que vous avez fait ?! » Je l’ai regardé les yeux exorbités, j’ai attrapé son bras pour le secouer en hurlant « MAIS ILS SONT EN VIE, EN VIE!! »

Et puis, je me suis rendue compte d’un truc : ni Têtard ni Curly ne garderont de souvenir de ces vacances. Aucun. Rien. Nada. On a vécu des trucs hyper forts ensemble et pschiit, ça a déjà été effacé de leurs mémoires pour faire de la place pour la visualisation de A et E, ou encore pour mémoriser le mot ouaho (qui signifie oiseau, n’est-ce pas). Quel gâchis…

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28 septembre 2015

Vacances en immersion – Part 1

Coucou mes petits amis, et revoilà la fameuse rentrée.

Depuis le temps que vous lisez des blogs, vous savez que le post de rentrée est généralement celui où l’individu bloguant vous conte ses vacances.

 

Ouais, alors bon, ça c’est ce que j’avais écrit genre le 2 septembre mais comme je ne l’ai pas publié, je me rends compte que ça sonne un peu bizarre le 28 septembre. (C’est dingue le degré de péremption d’un post de blog.) Alors, il faut lire ce post en essayant de vous imaginer que vous êtes à peine rentrés, encore bronzés, presque reposés et plein d’entrain. (Alors que 20 jours plus tard, ne nous leurrons pas, on est déjà tous crevés, lessivés, déprimés et on n’arrive pas à se rappeler la dernière fois qu’on est parti en vacances même si c’était y’a trois semaines.)

Bref. Pendant ces vacances, l’individu bloguant en ces lieux a vécu une expérience inédite.  

interdite

Une expérience de mort imminente ? Presque. J’avais prévu de partir quelques jours avec les deux êtres humains qui sont sortis de mon sexe. J’ai d’abord pensé hôtel. T’y es logé, nourri, blanchi, c’est un peu comme retrouver l’espace utérin de ta reum. Et puis j’ai une amie qui m’a dit “je pars seule avec ma fille, viens on loue une mini maison ensemble, je ferai la bouffe”. C’était super. Sur place, elle m’a dit “merdum, j’ai un problème, je dois rentrer”. Elle a fait une pause. Elle m’a regardée intensément. “Ca va aller ?” J’ai opiné du chef. Elle a insisté “Je veux dire… seule avec tes enfants ?” J’ai levé les yeux au ciel dans une tentative de mimer un truc comme “Bah oui, mais de quoi tu parles ? Evidemment, je suis une adulte, je vais m’en sortir.” Et j’ai même eu un petit frisson d’excitation parce que je dois avouer que c’était un peu un fantasme de me retrouver seule avec eux – sans doute par un atavisme me poussant à reproduire mon enfance, et donc mes propres vacances seule avec ma mère. 

Je les ai regardées, elle et sa fille, s’éloigner dans l’allée, je me suis retournée vers la maison, j’ai vu mes enfants et j’ai été parcouru d’un second frisson mais qui, cette fois, ressemblait davantage à de la peur. Pourtant, ils étaient pas en train de grimper aux murs en rongeant les rideaux.

Mais brusquement, j’ai réalisé que l’adulte, c’était moi. Depuis le temps, vous me direz, je devrais avoir intégré cette donnée simple mais en vrai, bah pas trop. La preuve en est que, quelques semaines plus tôt, j’avais déjà vécu exactement la même chose.

J’avais fait la visite de l’école maternelle avec Têtard.

J’étais à peu près 25 fois plus surexcitée que lui à cette idée. J’ai aimé l’école, j’ai adoré l’école, j’ai tout fait pour ne pas en partir, quitte à prolonger mes études jusqu’à l’extrème limite que mes revenus me permettaient, cette limite étant la thèse. Quitte à y revenir quelques années en tant que pionne. Bref. C’est peu dire que l’idée d’y retourner avec Têtard m’emballait. Je sautillais sur le trajet pour découvrir cette maternelle. On a été reçu par la directrice. On s’est assis dans son bureau. Elle a un peu parlé à Têtard. Et ensuite, elle s’est tournée vers moi. Et là, vous ne devinerez jamais ce qui s’est passé. Je ne sais même pas comment vous le raconter. Elle m’a parlé comme si ce n’était pas moi qui retournais à l’école. Elle m’a parlé comme si… comme si j’étais un parent d’élève.

UN PARENT D’ELEVE

UN          PARENT          D’ELEVE

Ce concept flou d’individu flou qui reste sur le pas de la porte de l’école et glisse une fois par an un bulletin PEEP ou FCPE dans une enveloppe.

Le putain de choc pour moi.

J’aurais pu m’y préparer mais clairement, y’a un truc vrillé dans mon cerveau. Ca déconne sec.

Pendant ce temps, la directrice continuait à me parler de trucs qui me dépassaient complètement. J’ai vaguement entendu “coudre des étiquettes sur les vêtements”. “Téléphoner avant 9h en cas d’absence”. Autant de trucs que je n’ai jamais, mais alors jamais de ma vie associés au concept d’école. (Sans doute parce que c’est ma mère qui s’en chargeait.) Moi, tout ce que je voulais, c’était aller voir la cour, le préau et les salles de classe. Et elle, elle continuait “contacter le service de la mairie pour l’inscription au centre de loisirs blablabla”. MAIS PUTAIN C’EST QUAND QU’ON VA REGARDER LES DIFFERENTES COULEURS DE PATE A MODELER ??   

Bah c’était jamais. (Veuillez insérer ici un smiley hyper triste.)

On est sorti de là, le Chef m’a appelée “c’était bien ?” et… j’ai pleuré. (Rapport donc au fait que j’ai 5 ans.) (Mais remarquez, ça fait de moi une enfant extrèmement précoce.)

Donc cette histoire d’école, selon ce que j’ai raconté à 99% de mon entourage pendant les trois semaines qui ont suivi, m’a servi d’électrochoc. J’ai compris où était ma place de parent. (Dans le même genre, j’ai arrêté de croire que les gens qui me croisent avec mes gamins me prennent pour la baby-sitter. De toute évidence, ce n’est pas le cas.) (Ce qui est une faillite de la cosmétique, je vous le dis tout de go.) (Ca fait 20 ans que je me tartine de crème et on me prend pour la mère de mes enfants. C’est un scandale.) (Bref.)

Donc l’électrochoc.

Mais visiblement, il a été de courte durée vu que la minute où je me suis rendue compte que j’allais avoir seule, pendant plusieurs jours, la responsabilité de la vie de deux êtres humains – même de petite taille, ça reste des humains – j’ai flippé.

Précision : dans l’année, je m’occupe quand même vachement d’eux. On n’est pas dans un téléfilm où une working girl qui voit à peine ses enfants se retrouve, après un malheureux accident, plâtrée pendant un mois au cours duquel elle va, forcée et contrainte, découvrir ses enfants. Mais là, il allait falloir que j’assure leur survie, voire même en étant un peu ambitieuse leur bien-être, seule pendant plusieurs jours. Vous me direz, y’a plein de parents seuls. Je sais. J’ignore comment ils font. Et me répondre ça, c’est comme dire à quelqu’un qui vient de se faire larguer “mais y’a des gens qui meurent en Syrie tu sais”. Et puis, les parents seuls avec deux enfants de ces âges-là, c’est déjà plus rare. Rappelons pour mémoire : Curly = 13 mois, Têtard = 3 ans. 

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Un cocard ? Non, des cernes de vacances. Un nouveau concept. (Des cheveux sales aussi, mais on parlera hygiène par la suite.)

Le sommeil

Partir en vacances avec ses gamins, ça signifie souvent dormir avec eux. Mise au point : le lecteur prendra le verbe « dormir » dans son acception de « somnoler légèrement parce que ton cerveau, reptilien ou pas, guette le moindre bruit produit par tes petits ».

Dans ma chambre, j’avais un lit bébé et un lit double que je partageais avec Têtard. (Salut Freud ! Ca gaze ? Je t’ai pas dit ? J’ai décidé que j’allais oublier tout ce que j’ai lu de toi pour être bien sûre de trauma mes gamins, à bientôt!) Dès la première nuit, j’ai eu la confirmation que mes enfants ont un sommeil de merde. Toutes les 20 minutes, le silence était déchiré par le hurlement inattendu de l’un des deux. J’avais l’impression d’être dans le dortoir d’un asile d’aliénés. De 22h à minuit, c’était Curly, à partir de 00h30 le relai était pris par Têtard. A noter également un fait scientifiquement édifiant : Curly ne sait pas parler et pourtant il parle dans son sommeil. Perso, je trouve ça dingue. Il fait des petites phrases, avec aucun mot identifiable dans une langue connue de l’humanité. (Mes nuits ressemblaient donc à un croisement entre Birdy et l’Exorciste.) Et au moins une fois par nuit, Têtard tombait du lit. Puis à 6h30 réveil de Curly.

La première nuit, alors que j’allais enfin m’endormir, vers les 3h du mat, il y a eu un éclair. Comme un flash lumineux. Je me dis orage, et j’essaie de trouver le sommeil. Mais ça recommence et ça fait un truc bizarre. A travers mes paupières closes, apparaissent des flashs de lumière hyper forts et tellement précis que j’entrevois un fil d’ampoule. Chelou, non ? Au cinquième flash, j’ouvre les yeux. Je guette. Et je comprends que c’est l’ampoule du plafonnier situé pile au-dessus du lit qui s’allume par intermittence. (Une méthode couramment utilisée à Guantanamo.) Il y a un court-circuit. Mais bon, il est 4h du mat, il me reste approximativement 2h30 de sommeil, je suis épuisée. Je me retourne et enfouis ma tête dans l’oreiller pour ne plus voir les flashs. Sauf que là, à votre avis, que se passe-t-il ? Mon cerveau tout niqué se met en marche. Je commence à me dire que l’ampoule risque d’exploser. Et plein de petits bouts de verre ultra coupants vont tomber dans les lits. Et si l’un se plante dans la carotide de Curly ? Non, c’est débile. Personne ne meurt d’une explosion d’ampoule de 60 watts.

Mais si un bout de verre tombe dans l’oeil de Têtard ? Si l’un des enfants reste à jamais défiguré ? Je m’imagine me levant tous les matins de ma vie et trouvant face à moi au petit-déjeuner mon fils portant les stigmates défigurants de ma négligence. Et je dirais quoi ? “Je ne sais pas ce qui s’est passé.” Parce qu’évidemment, je devrais mentir. Impossible de dire la vérité aux gens, même au Chef “en fait, j’avais bien vu qu’il y avait un court-circuit dans la lampe, mais j’étais trop fatiguée pour me lever et m’en occuper”. Et jusqu’à ma mort, je porterai mon lourd secret. J’ai passé une bonne demi-heure à m’imaginer pour moi et mes enfants une vie de merde rongée par le secret et la culpabilité avant de me décider à me lever pour enlever l’ampoule. Je me recouche, je suis en train de rêver que je parle des rapports de la télé-réalité et de l’homosexualité avec Laurent Ruquier. Ensuite, je vois Ségolène Royal. Elle a arrêté de fumer et discute avec Nicolas Rey, ils découvrent qu’ils sont voisins. C’est à ce moment-là, soit après une heure de sommeil, que Curly se met debout dans son lit et appelle : “mamamamaman ? Tetaaa ?” Il est 6h30 du mat.

Je prépare les biberons. (Deux laits différents, deux type de chocolat différents.) Maman, toi t’es le voleur et moi je suis le magicien. Je suis pas bien réveillée là Têtard. Alors toi t’es le magicien et moi je suis le voleur. (Mais putain, pourquoi il croit que ça change quelque chose d’inverser les rôles ?)

Ah oui, parce qu’il ne faut pas minimiser la sollicitation permanente d’un enfant de trois ans. Une sollicitation qui vire assez vite au parasitage et maman t’as vu le chien ? qu’il est inutile d’ignorer dans t’as vu le chien ? la mesure où l’enfant t’as vu le gros chien ? continuera calmement t’as vu le gros chien ? et imperturbablement t’as vu le gros chien à vous poser la question jusqu’à t’as vu le gros chien ? obtenir une réponse, oui chéri, j’ai vu le chien. Non, tu l’as même pas vu, c’est moi qui l’ai vu.

7h Curly devient rouge pendant trois longues minutes avant de m’annoncer fièrement “cacacacacaca”.

Ok.

Non, pas ok.

Parce que j’étais certaine d’avoir une couche de réserve mais qu’en fait non.

Sauf qu’à 7h y’a rien d’ouvert. On attend. A 8h, je les habille, 2 t-shirts, 2 shorts, 4 chaussettes, 2 chaussures. Je mets Curly dans la poussette, j’entends un long sproutch quand je le cale au fond pour l’attacher et j’imagine très bien la merde qui est en train de déborder de la couche et de remonter dans son dos. On part. Maman, toi tu dis mon spectacle et moi je suis la sorcière.

Je trouve une pharmacie. Maman, toi tu chantes et moi aussi.

Elle est fermée. Maman ? Maman ? Maaaamaaaaannnnn ? Oui ? Toi t’es la maitresse et moi je suis le chat.

On va s’installer à une terrasse de café pour attendre l’ouverture de la pharmacie. Je suis un zombie. Je fume une clope, je bois mon café. Têtard parle. Curly se balance d’une fesse sur l’autre pour bien étaler son caca. Autour de nous, il n’y a que les gens du cru, tous en doudounes avec des écharpes parce que figurez-vous qu’il caille sa race à cette heure-là. On a l’air de zonards. Mais ce qu’il y a de bien avec des individus âgés de moins de 5 ans, c’est qu’ils vous font une confiance telle que jamais ils ne penseront à vous dire « maman, ton plan, il est hyper pourri. Qu’est-ce qu’on fout là à se cailler la raie du cul ? » 

Au bout de quelques jours, j’avais pris le pli d’être réveillée et prête à sortir à 7h15. Un matin, on a même fait l’ouverture du Monoprix. (Une sorte de climax dans mes vacances.)

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Oui, sur cette photo, Curly n’a qu’une chaussette et Têtard est en pyjama. Pour ma part, j’avais emporté dans ma valise deux pantalons, dont l’un était aussi mon pyjama mais je n’ai jamais vraiment décidé lequel des deux était dévolu à cette fonction.

En regardant cette photo, je m’aperçois aussi que tu sais que tu as perdu toute estime de toi quand tu n’as plus de sac à main mais juste un sac Monop.

La suite demain.

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