27 mars 2019

Méthode ménagère part 1

Je suis programmée comme une petite marmotte. Cette semaine, j’ai commencé à m’agacer en pensant au bordel dans la buanderie.

J’ai trié les livres des enfants. (Oui, comme les fringues, leurs livres deviennent trop petits.) J’ai nettoyé le tiroir à biscuit.

En un mot : c’est le printemps.

Ma capacité à sentir le besoin de ménage de printemps est quand même impressionnante. Et ce n’est pas du tout intellectuel, genre je regarde le calendrier et je programme que le week-end prochain il faut fait un grand ménage. Le grand ménage bout dans mes tripes. (C’est aussi le moment où je me dis que j’ai passé l’hiver à bosser seule chez moi, et que tiens, je pourrais sortir redécouvrir mes congénères.)

Or concernant le ménage, qui en tant qu’objet d’étude politique, reste une de mes grandes passions, j’ai encore découvert de nouveaux trucs. J’ai notamment eu une révélation ménagère. Nous voici donc en route pour une série de posts sur le ménage, en complément de Libérées.

La hausse des normes ménagères. J’avais bien l’intuition qu’il y avait eu un bond en avant dans ces normes, mais ça se confirme. Et bien évidemment ça participe de l’épuisement actuel des femmes. On leur en demande davantage niveau ménage qu’à d’autres époques. Et cette hausse de la norme est renforcée par l’esthétique à la mode.

Ca, c’est une reconstitution de la salle à manger de Victor Hugo dans son appart de la place des Vosges.

Ca, c’est tiré du nouveau catalogue Ikéa.

Deux salles à manger, deux ambiances. Dans une pièce sombre et encombrée, on voit moins le bordel ou la saleté. Le fait que nous souhaitions vivre dans des annexes de salles opératoires implique forcément un ménage impeccable. Du blanc partout, de la lumière partout.

Même plus récemment, rappelez-vous la passion des années 80 pour les intérieurs marron. Pensez aux décors du type Madame est servie. (Je cite cette série en particulier parce que c’est l’occasion de rendre un micro hommage à Katherine Helmond, qui jouait la géniale Mona et qui est récemment décédée.)

Ce qui nous tue en terme de ménage, c’est la mode du blanc chirurgical, aseptisé – cette dernière qualité étant à prendre au sens littéral puisqu’on ne se contente pas de nettoyer sa maison, il faut également la désinfecter.

Note au passage : sur Instagram, je suis étonnée par un paradoxe. Les intérieurs sont épurés. (Genre pas la maison de Gustave Moreau.) Et pourtant, leurs propriétaires semblent acheter toutes les semaines un nouveau truc pour la déco. Mais alors, elles remplacent ? Elles font quoi des vieux trucs ? C’est épuré mais sans cesse renouvelé. On ne voit pas l’accumulation d’achats et pourtant, il y a accumulation d’achats. C’est donc une esthétique de l’épure au service de la sur-consommation. Ce qui est grosso modo une aberration.

Or nous, quidam du ménage, pour atteindre cet idéal esthétique, nous sommes confrontées à un ennemi qu’on n’identifie pas toujours clairement, un opposant qui n’a l’air de rien mais qui vient niquer toute notion de rangement : les choses. Elles sont partout autour de nous. Des objets. Des objets qui sont la base du bordel. Des objets qui trainent et qui foutent en l’air l’instagrammabilité de votre logement.

Dans tous les manuels ménagers récents que j’ai pu lire, la première recommandation, c’est donc logiquement d’éliminer les objets – une préconisation qui n’existait pas du temps de Paulette Bernège (la première Française a avoir publié une méthode ménagère au début du 20ème siècle). Parce que les objets se sont multipliés. Et cela, en partie à cause de mon ennemi personnel : le plastique. (Et paf, voilà comment deux de mes obsessions : la lutte contre le plastique et l’inégale répartition des tâches ménagères se rejoignent.) Le plastique c’est pas cher et facile à fabriquer. Le plastique multiplie le nombre d’objets qui peuvent potentiellement envahir une maison.

Le plastique, surtout, surtout, est l’ami préféré des enfants. N’importe quelle merde de trois centimètres en plastique coloré est un trésor à leurs yeux émerveillés.

Si je prends trois grandes prêtresses du rangement, à savoir Marie Kondo, Béa Johnson et FlyLady, ce n’est pas un hasard si leur étape n°1 consiste à nous convaincre que nous possédons trop de choses. Pour Marie Kondo c’est même l’essentiel de sa méthode. Après, elles ont chacune leur « truc ». Pour Kondo, il faut poser une semaine de congé, mettre une robe de soirée, tout rassembler au centre d’une pièce par catégorie d’objets, constater ce que l’on possède. Ensuite, la chose passe le test dit de l’étincelle de joie.

Pour FlyLady, la méthode est opposée. On n’y consacre que 15 minutes par jour. On enfile des chaussures, on lance un minuteur pour 15 minutes, et on traverse la pièce un sac plastique (argh) à la main et on y met 27 objets sans réfléchir. Ensuite, on donne, jette ou vend son contenu sans revenir sur sa première impulsion. Pour Béa Johnson, encore une autre méthode. Elle, elle part de ce dont on a besoin. En vrai, vous avez besoin de sept t-shirts dans votre placard. Et bah vous vous débarrassez de tous les autres. (Béa Johnson a peu de problème de ménage vu qu’elle ne possède quasiment plus rien.)

Elles ont tout de même un point commun : si ça n’a pas servi au cours du mois passé, c’est qu’on peut s’en débarrasser. Parce qu’alors ce qui était un outil est devenu une chose. Un truc sans finalité, dont le poids mort étouffe notre horizon. Le garder parce qu’il est en bon état, voire carrément neuf, n’est pas un critère efficient. On s’en sert ou on ne s’en sert pas. (Et il fait jaillir de la joie dans votre petit cœur ou pas.)  

Elles vantent toutes les trois les bienfaits de ce désencombrement. Nous serions asphyxié, y compris physiquement, par les objets qui nous entourent. (Ajouter ici une dose de feng-shui.)

Le fait que ces femmes soient devenues des cheffes à la tête d’entreprises florissantes n’est pas anodin. Nous avons besoin de stages pour apprendre à nous débarrasser de tonnes d’objets qui ne nous sont d’aucune utilité. Si ça, c’est pas le signe d’une civilisation malade et dégénérée…

En essayant de nous faire prendre conscience que nous possédons trop, ce qui pouvait passer pour des guides ménagers gnangnans devient politique. Le ménage devient politique pas seulement parce qu’il pose des enjeux de rapport de force au sein du couple ou entre parent et enfant, mais parce qu’il s’agit de remettre en question nos habitus de possession. Et donc, d’une certaine manière, la société.

La première étape pour adopter une méthode ménagère c’est donc de se débarrasser de ce que l’on possède en trop, mais cela a un corolaire. Il faut cesser d’acheter. Béah Johnson raconte bien comment à une époque, son activité du samedi avec son mec c’était d’aller faire du shopping. Ne plus acheter, c’est donc aussi réorganiser son temps de loisir, et l’espace géographique de ses sorties.

On ne doit pas négliger, par pur snobisme et sexisme, l’écho que trouvent ces ouvrages. (En plus, le livre de Béa Johnson est vraiment super. Par contre, FlyLady, malgré la qualité de sa méthode, on y reviendra, c’est tellement réactionnaire que ça ferait passer Christine Boutin pour Rosa Luxembourg.) Ils traduisent, à leur manière, un début de dégoût face à la société de consommation. S’ils plaisent autant c’est aussi parce qu’ils promettent une nouvelle vie, une vie qui ne se résumerait pas à acheter des choses et les entasser chez nous.

La révolution commencera peut-être par le ménage.

partager ce post sur: facebook | twitter |

 

«                 »

 

8 commentaires pour “Méthode ménagère part 1”

  • autre signe du printemps: quand tu ouvres ton appli youtube et que, sur ton accueil, tu tombes sur 10 vidéos de Marie Kondo & cie, alors que tu n’as JAMAIS regardé de tutos de ce genre (parce que tu as banni l’expression « ça peut toujours servir » de ton vocabulaire depuis des années déjà, et que tu as la poubelle facile).
    merci de revenir par ici, Titiou! ça fait bien plaiz…

    le 27 mars, 2019 à 17 h 05 min
     
  • Je pense que nous détacher des choses pour se recentrer sur leur usage, nous défaire du fétichisme traditionnel et exister par soi-même, c’est plutôt bien. Si nous arrivons à valoriser les choses sur leur utilité et même leur usage réel plutôt que leur rareté. A partir de là je pense qu’il est tout à fait possible de mettre en place des systèmes sociaux qui produisent finalement moins tout en consommant plus en se détachant de la notion de propriété.
    Je ne vois pas comment le ménage pourrait ne pas être un enjeu politique puisqu’il s’agit de contrer l’entropie naturelle et gérer les contingences matérielles. Le développement technique reformule forcément ces contingences matérielles… ce sont les révolutions qualitatives qui sont les plus impactantes. L’enjeu environnemental n’est pas directement lié à la surconsommation, mais à la surproduction. Evidemment nous avons tellement valorisé moralement et socialement la production que c’est un tabou que de dire que c’est un problème, on préfère sacrifier une notion périphérique et la consommation est parfaite pour ça. Tous les politiques, sauf les écologistes quand ils peuvent vraiment en placer une, accusent la consommation et les libertés individuelles pour pouvoir protéger notre système capitaliste de surproduction, avec des programmes de plus en plus autoritaires qui essaient de se faire passer pour libéraux mais qui ne sont en fait que capitalistes, pour réformistes alors qu’ils sont conformistes. Je pense que la consommation de flux peut participer à un aufhebung du capitalisme surproducteur, l’ascétisme, de manière générale, ne participe jamais qu’à un conservatisme.

    le 27 mars, 2019 à 22 h 01 min
     
  • Ah, l’accumulation ! C’est un véritable travail à faire sur soi, c’est clair, que d’apprendre à renoncer à s’attacher (inutilement souvent) aux objets…

    Courage, courage… :-)

    le 28 mars, 2019 à 12 h 19 min
     
  • ne rien acheter c’est quand même plus facile que se désencombrer. Je me suis motivée pour le challenge rien de neuf en 2019 (encore un challenge, pourquoi appeler ça comme ça, bref). Depuis le début de l’année j’ai pas mal reposé de choses en rayons et évité beaucoup de sorties dans des lieux de tentation.
    Parce que se désencombrer la ça devient dur, on est parti à la campagne, on a de la place, et plein d’objet je me dit, là ça sert pas, mais après l’effondrement je serai peut-être ravie de retrouver cette nappe de ma mère a motif d’olives pour m’en faire une robe ? (merci pablo servigne)

    le 31 mars, 2019 à 13 h 43 min
     
  • ce qui est très intéressant à creuser, c’est le lien entre la consommation (voir l’hyperconsommation) et l’impact des méthodes à succès à la Kondo. A notre époque, on sait qu’on doit consommer (ben oui, les entreprises, le business, les emplois et tout le toutim) mais aussi qu’on a le devoir de mieux le faire (plastique, durabilité, éthique,etc.). Ca prendre du temps, mais on doit travailler à éduquer les Tétard, Curly et autres mini-(cré)-atures pour qu’ils grandissent en étant responsables. Parents, si vous l’acceptez, ceci est votre mission…

    le 3 avril, 2019 à 11 h 04 min
     
  • Je viens juste de comprendre le « koi29 » du post précedent. Je crois que j’ai eu assez d’internet pour aujourd’hui. Je m’attaquerai a la théorie du nouveau monde par le ménage demain :o)

    le 9 avril, 2019 à 20 h 24 min
     
  • la suite, la suite !!!
    svp?

    le 18 avril, 2019 à 9 h 41 min
     
  • Alors oui, les objets nous encombrent moralement, physiquement.
    Il faut les réparer, les ranger, s’en occuper. Moi ce n’est pas le printemps qui me fait cet effet mais l’été où j’arrive à vivre avec genre une robe et 2 maillots de bain (et un livre).
    Il me faut toujours un temps de réadaptation quand je rentre de vacances, et je me sens un peu oppressée dans mon appart. (les locs de vacances ont souvent des deco épurées)
    Encore pire quand je suis rentrée du Japon, pas à dire, le vide ça repose l’esprit
    Cela étant dit « si ça n’a pas servi au cours du mois passé, c’est qu’on peut s’en débarrasser »…euh non
    cf jurisprudence des décos de Noel

    le 2 août, 2019 à 17 h 33 min
     

Poster un commentaire