14 novembre 2015

Le 13 novembre

Samedi 14 novembre. La gueule de bois. Pas vraiment la même.

Je ne vais pas écrire sur le courage du peuple de Paris. Parce que le peuple de Paris que je connais, c’est celui qui sort le vendredi soir pour se démonter la tête. Evidemment, hier, à peu près tout mon entourage était dehors. Qui dans un bar, qui à un concert, un autre au stade de France. C’est normal, c’était vendredi soir. Le soir où on boit, trop. On se couche tard, trop. On couche, tout court et parfois avec n’importe qui. On écoute de la musique trop fort. On traine dans Paris à la recherche d’un taxi. On crie dans la rue. On se fait engueuler parce qu’on est dehors avec un verre d’alcool. Parce qu’on fume en riant trop fort et que ça dérange les “riverains”. C’est notre soir. Celui où on décompresse. Celui où on s’autorise un peu de n’importe quoi.

Coming-out : un de mes premiers souvenirs au Bataclan c’est d’y avoir vu un spectacle de Michaël Youn. C’est con hein ? Et c’est con de penser à ça là. Mais ça dit aussi à quel point ces lieux nous sont familiers. Ce n’est pas seulement notre paysage urbain quotidien, c’est notre paysage mental. Ces lieux sont devenus synonymes d’évènements historiques qu’on trouvera dans les manuels. Du sang, des corps. Des images des mecs qu’on croise tous les jours qui tirent des cadavres. (Cette vidéo surtout.) Et quoi alors ? Aller déposer des fleurs devant le Bataclan ? Appeler Chryde, la dernière personne avec qui j’ai bouffé à la Belle Equipe, pour qu’on aille y mettre des chrysanthèmes ?

A la place, j’écris. C’est con aussi. C’est trop tôt. Mais c’est tout ce que je sais faire. A défaut de boire.

A Paris, hier soir, la vie tenait aux places dispos en terrasse et à vos goûts musicaux. Que vous préfériez le métal ou le rock. Les attentats de janvier ciblaient des gens qui représentaient quelque chose : dessinateurs / policiers / juifs. Hier, c’était juste nous. Des gens qui aiment bien sortir pour faire la fête. On est pas méchants. En général, le vendredi soir, on est surtout un peu cons. On a jamais eu l’impression de représenter quoique ce soit. Surtout pas le week-end. Le vendredi soir, on dépose les costumes sociaux habituels. Le vendredi soir, on est n’importe qui.

Hier, le concert des Districts était vachement bien. Même si on aurait dit que le mec des lumières avait appuyé sur le bouton “aléatoire” avant de partir s’acheter un paquet de granola. C’est ce que j’ai dit pendant que tout le monde prenait sa bière au bar. Quelque minutes plus tard, je suis sortie de la Cigale avec mon amie Diane et le vendredi soir était en train de basculer. Pas juste ce vendredi soir-là. Le concept même de Vendredi Soir. J’ai traversé l’Est de Paris. J’ai pleuré. Tout de suite. Pas d’état de choc parce que ça fait des mois qu’on s’y attend. Qu’on en parle. On est combien à avoir partagé l’interview de Trévidic en septembre ? Diane a pris les choses en main, elle a trouvé un taxi. Elle m’a donné de l’argent. (Oui, le taxi m’a fait payer la course.) En arrivant chez moi, j’ai découvert l’état d’urgence. Le Président qui fait fermer les frontières. Des mots qui nous sont étrangers. Presque exotiques. Des mots qui, jusqu’à aujourd’hui, n’avaient aucun rapport avec le fait de sortir picoler le week-end.

J’espère qu’on continuera à aimer faire la fête dehors mais je ne jugerai pas ceux qui préfèrent rester en sécurité.

Oui, bien sûr, on était prévenus.

Mais on n’est pas un courageux peuple de Paris. On n’a pas fait de la résistance. On est juste des fêtards un peu cons. Franchement, les mecs, on ne méritait pas tant d’attention.

partager ce post sur: facebook | twitter |

 

 

19 commentaires pour “Le 13 novembre”

  • c’est peut être un peu con mais que faire d’autre quand ce que l’on fait de mieux et de bien c’est ecrire?

    le 14 novembre, 2015 à 12 h 42 min
     
  • Oui. Merci pour ce très beau texte. Merci pour ces mots. D’une fêtarde qui se reconnaît les vendredis soirs.

    le 14 novembre, 2015 à 12 h 58 min
     
  • Au hasard, mais pas complètement. Cibles antisémites. Jeunesse qui se prélasse en terrasse et au restaurant un vendredi soir au lieu de rester confite en dévotion. Boulevard Voltaire et Boulevard Beaumarchais, les Lumières… Près de la Place de la République, lieu de rassemblement et mot-phare hautement symbolique de la France. Football et musique bannis et censurés par les Talibans et Daesh. Bref, tout sauf des actes absurdes et désordonnés.
    Sidération.
    http://www.lepoint.fr/societe/le-bataclan-une-cible-regulierement-visee-14-11-2015-1981544_23.php

    le 14 novembre, 2015 à 13 h 16 min
     
  • https://scontent-mrs1-1.xx.fbcdn.net/hphotos-xat1/v/t1.0-9/12246609_851235304997240_5468451320837182602_n.jpg?oh=c0e047e2cf8e5c477dd3e46ebb3ec120&oe=56AF18C4
    un dessin de Baudry qui devrait vous parler…

    le 14 novembre, 2015 à 13 h 17 min
     
  • Merci, quand écrire et lire c’est ce qu’on sait faire de mieux, c’est déjà ça…

    le 14 novembre, 2015 à 14 h 26 min
     
  • MERCI d’avoir réussi à mettre des mots sur ce que je ressens depuis hier soir

    le 14 novembre, 2015 à 14 h 31 min
     
  • Non n arretes surtout pas d’écrire car tu luttes à ta façon contre la barbarie qui frappe à nos portes. On est prévenu en effet mais on doit continuer sinon ils gagnent!
    amitiés

    le 14 novembre, 2015 à 14 h 36 min
     
  • Titiou… Je viens de finir les Morues,j’ai entrepris la lecture chronologique et systématique de ce blog et je ne voulais pas commenter avant d’avoir fini (non je ne suis ni maniaque ni excessive, juste méthodique !). Mais voilà, je te remercie pour ce billet,comme souvent bien balancé entre l’émotion et la raison. Non ce n’était pas con de le faire, ce n’était pas trop tôt. Et ta conclusion rejoint ce que je disais, sauf que moi je l’ai moins bien exprimé. Alors merci !

    le 14 novembre, 2015 à 14 h 54 min
     
  • Je n’habite pas à Paris mais je reconnais dans ce que tu dis beaucoup de mes amis et beaucoup de ces merveilleux moments passés avec eux quand je suis de passage, notamment sur la terrasse du Carillon, de rentrer bourrée à Goncourt.
    Ils ont touchés une partie de moi (de manière différence à janvier mais j’ai le coeur brisé de tant de haine)
    Ecrire est sans doute libérateur. Moi je pars me réunir avec mes compatriotes expat’ pleurer un coup sur la place publique.

    le 14 novembre, 2015 à 17 h 02 min
     
  • Merci pour tes mots, je n’ai que des cris dans ma tête, des hurlements d’injustice … Sacrifices d’innocents, une guerre de lâches.

    le 14 novembre, 2015 à 18 h 44 min
     
  • Merci…
    Je reste toujours sans mot.

    le 14 novembre, 2015 à 22 h 28 min
     
  • Suis tombée sur ton billet par hasard sur Slate, l’ai trouvé très juste et sincère, ai donc ensuite découvert ton blog et là, fou rire à la lecture de tes derniers posts (avec climax sur le gode qui pond des oeufs)MERCI POUR CE MOMENT

    le 15 novembre, 2015 à 1 h 27 min
     
  • Une « foule sentimentale », blessée, qui a mal à la France…

    Merci pour ces mots, Titiou

    le 15 novembre, 2015 à 11 h 45 min
     
  • Merci Titiou, pour ce texte si bien écrit.

    le 15 novembre, 2015 à 20 h 07 min
     
  • Ce qui est effrayant, c’est l’intimité qui se crée soudain entre tous, entre nous. Nous nous découvrons solidaires de ces anonymes qui constituent normalement le décor d’une ville, le contexte de notre vie. La sortie dans le bar, occasion de se « frotter » aux autres, de se draguer ou de s’engueuler, devient réunion de famille ou d’amis. Les sourires insistants, compatissants, les yeux rougis, sont insupportables car ils nous renvoient à une intimité généralisée qui fait perdre son sens à l’intimité. Déjà, il est impossible de dire « je ».

    Impossible de parler en son nom propre : dire « je » devient indécent, à moins d’avoir été touché directement. Il n’y a plus de « je » qui tienne puisque le « je » implique une autonomie, une distance à ce qui se passe. On pense quand même pouvoir dire « je » pour dire notre tristesse, notre horreur, pour nous exprimer, mais non…
    C’est au moment où l’on a le sentiment d’avoir réellement été « atteint dans sa chair », que la métaphore devient odieuse puisque d’autres ont réellement été « atteints dans leur chair ». Au moment où la métaphore devient appropriée, où elle paraît exprimer adéquatement ce que l’on ressent, elle se heurte au sens propre.
    Les métaphores permettant d’exprimer la sensibilité sont des métaphores qui « touchent » au corps : elles sont inutilisables dans le cas qui compte, la mort, puisqu’elles ne servent qu’à dire que nous n’avons pas été touchés, au sens propre du terme. Nous, qui employons la métaphore, pensons qu’elle est moins métaphorique que jamais, tandis que les autres ne voient que son côté « poétique » et donc indécent.
    Tout ce qui voudra dire notre sensibilité sera alors transformé en insensibilité : c’est l’indécence de celui qui « fait de la littérature » sur le malheur des autres.
    Inversement, euphémiser notre abattement, le dire de manière « neutre », sera synonyme d’indifférence.

    Difficile de parler donc et faire ce constat est déjà odieux, puisque nous avons tous perdu des « proches ».
    Nous sommes tous des corps plus ou moins intacts, qui, faute de pouvoir dire autre chose, voudraient dire qu’ils ont été touché et qui ne peuvent même pas dire cela.

    le 15 novembre, 2015 à 23 h 11 min
     
  • Aujourd’hui, en plein milieu d’une réunion à la fac j’ai senti monter les larmes. J’ai pleuré comme une conne derriere le local à poubelles pour pas qu’on me voit. Et j’ai pensé à toi. Toi aussi tu as pleuré, et c’est con, mais ça m’a reconfortée. Merci Titiou.

    le 16 novembre, 2015 à 16 h 31 min
     
  • … <3 …

    le 16 novembre, 2015 à 16 h 50 min
     
  • Merci Titiou. Ton texte – sa conclusion – et la lecture du post d’un lecteur bis marquent peut être la fin de notre post modernité soigneusement barricadée: la politique avec l’individu pour seul horizon, l’hédonisme mélancolique (ou l’inverse je sais pas) du à cette fin de l’histoire auto proclamée (la nation et son cortège d’horreurs mis au frigo de l’Europe, comme le rêve d’une vie commune).
    Reste le « vivre ensemble » avatar étrange d’un règlement de copro qui cherche à péter plus haut que ses principes et l’idée centrale que nous représentons, nous occident, toujours le futur obligatoire d’une humanité (si elle va vers le progrès).
    Et là… Toc toc barbarie. Retour à la case d’avant.
    Si nous nous accommodions assez bien – avec quelques antidep – de notre existence hors sol et de nos héritages non soldés, n’en reste pas moins que pour ces tarés, nous représentons quelque chose, à quoi il s’attaquent.
    Pour finir, il y aurait dans le #enterrasse quelque chose d’à la fois très sympathique, comme les images améliepoulainesque entretenues par les US sur notre lifestyle, mais aussi quelque chose de vain, voire de désespérant.
    Pour te paraphraser, certes on méritait pas tant d’attention, mais on aurait peut être intérêt, d’abord pour nous mêmes, à oser viser être un peu plus et un peu mieux que d’être des fêtards un peu cons.
    (NB Le bouquin de Manent, qui est évidemment critiquable à bien des égards, a le courage de proposer quelque chose, qui permet d’envisager la réalité autrement qu’en termes de « valeurs » « république » « identité » « laicité » et tous les gros mots convoqués on ne sait plus très bien comment, pourquoi et avec quelle consistance, parfois). Bises

    le 17 novembre, 2015 à 17 h 28 min
     
  • Comme tant d’autres, merci. Parce que je n’arrivais pas à comprendre moi-même mon dernier texte très maladroit, au lendemain des attentats. Pourquoi est-ce que je me justifiais ainsi à chaque ligne ? pourquoi avais-je ce sentiment d’indécence en me relisant ? Ce n’est qu’à la lecture de cet article que je me suis comprise, et ça m’aide déjà un petit peu.

    le 18 novembre, 2015 à 11 h 02 min
     

Poster un commentaire