24 avril 2009

Histoire d’O – part one

Un nouveau cours de littérature érotique. CM n°2. On ne chuchote pas dans les rangs, je vous entends « elle va encore le recycler sur Brain après, ça sert à rien de le lire. »
La première fois que j’ai lu Histoire d’O (oui, je l’ai lu plusieurs fois) de Pauline Réage, je crois que je ne m’attendais pas à ça. J’avais la vague idée, glanée dans des « Histoires-de-la-littérature-française-au-XXème-siècle-ou-comment-bien-s’engueuler-dans-des-cafés-de-la-rive-gauche » qu’il s’agissait d’un récit autobiographique de cul. C’est tout. Double erreur : ce n’est pas du tout un récit autobiographique et ce n’est pas un simple bouquin de cul.  D’abord c’est sublimement bien écrit et, d’après mes souvenirs, sans aucun mot qu’on pourrait qualifier d’obscène, ce qui, vu les scènes décrites, est une vrai gageure (l’héroïne, O, se fait quand même violer, partouzer, battre, élargir dans tous les sens, marquer au fer rouge). Pourtant les descriptions sont pour le moins directes et crues mais à chaque fois, Réage réussit à jouer sur l’alliance de termes communs (ventre, reins, lèvres) plutôt que de choisir un langage ordurier. Ca a l’air un peu obscur comme ça, ça va mieux avec un exemple. 
 « Sir Stephen, qui s’était levé aussi, la prit d’une main au ventre et la poussa vers le sofa. Il la fit mettre à genoux, le dos contre le sofa, et pour qu’elle s’y appuyât plus près des épaules que de la taille, il lui fit écarter un peu les cuisses. Ses mains reposaient contre ses chevilles, ainsi son ventre était il entrebâillé, et au dessus de ses seins toujours offerts, sa gorge renversée. Elle n’osait regarder le visage de Sir Stephen, mais voyait ses mains dénouer la ceinture de sa robe. Quand il eut enjambé O toujours à genoux et qu’il l’eut saisi par la nuque, il s’enfonça dans sa bouche. Ce n’était pas la caresse de ses lèvres le long de lui qu’il cherchait, mais le fond de sa gorge. Il la fouilla longtemps, et O sentait gonfler et durcir en elle le bâillon de chair qui l’étouffait, et donc le choc lent et répété lui arrachait les larmes. Pour mieux l’envahir, Sir Stephen avait fini par se mettre à genoux sur le sofa de part et d’autre de son visage, et ses reins reposaient par instant sur la poitrine d’O, qui sentait son ventre, inutile et dédaigné, la brûler. »
L’écriture de cette scène relève du tour de force. On n’est pas dans de la simple suggestion. Tout est explicite, la position est même très précisément décrite et pourtant, pas une fois on ne trouve le mot « sexe ». Et c’est même précisément l’efficacité de cette écriture. Plutôt que de limiter son récit à cul ou chatte (en langage Réage « ventre »), Réage ne raconte pas, elle décrit en incluant le corps dans son ensemble : dos, chevilles, taille, nuque parce que le récit est écrit du point de vue d’O et qu’elle a conscience de chaque partie de son corps, de l’inconfort de certaines positions (et s’y rajoutent la description du contact des tissus, des odeurs, des bruits). Le sexe masculin, lui, est toujours remplacé par l’individu homme dans son ensemble. C’est sir Stephen qui s’enfonce, l’envahit, la fouille (sans oublier l’expression « bâillon de chair » qui revête un sens autrement plus précis que bite). Elle est multiplicité, éparpillée, parfois perdue, par la richesse de ses sens alors qu’il est le maître et l’objet, il est unicité. 
A sa parution en 1954, le petit monde littéraire ne croit pas en l’existence de Pauline Réage et chacun cherche qui peut être le véritable auteur. En même temps, quand on voit la mise en scène pour la remise d’un prix à Pauline Réage…

On soupçonne d’abord que ce soit Jean Paulhan, le directeur de la NRF, sous prétexte que « une femme n’a pas pu écrire ça ». Et assez rapidement, on passe à « il y a qu’une femme qui a pu écrire ça ». Effectivement, il s’agit de Dominique Aury (qui avait une vraie passion pour les pseudos puisque sa véritable identité est Anne Desclos), la secrétaire de la NRF. Abandonnée par Paulhan dont elle est très éprise, elle rédige Histoire d’O à la fois comme une lettre d’amour pour celui qui la délaisse (elle dira « Je n’étais pas jeune, je n’étais pas jolie. Il me fallait trouver d’autres armes. Le physique n’était pas tout. Les armes étaient aussi dans l’esprit. ») et pour relever son défi – il lui aurait déclaré qu’une femme ne pouvait pas écrire un bon livre érotique.

Ok, là, ils sont un peu vieux…

Le thème le plus évident dans le livre, c’est celui de l’asservissement – en l’occurrence sexuel, mais qui pose surtout la question de la liberté et du choix, thématiques chères à la vie intellectuelle des années 50. Toute pratique sexuelle, même la plus simple et catholique, étant profondément liée à des jeux de domination, Histoire d’O n’est pas tant la bible du SM qu’une réflexion et une mise en scène de la sexualité en général poussées à l’extrême.
SUITE LA SEMAINE PROCHAINE.

En attendant, je crois que ça se trouve en livre de poche. (Non, la professeur n’a pas d’exigence particulière quant à la collection dans laquelle vous achetez l’oeuvre à étudier.) 

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