16 avril 2009

La kiné

La première fois qu’on m’a dit d’aller voir un kiné, c’était il y a 6 ans, 7, 8 bref je sais plus. J’avais mal au dos mais j’étais étudiante = pauvre avec les yeux fiévreux de la malnutrition. Ce qui explique en partie qu’à l’époque je me pâmais d’extase en lisant du Trakl. Et j’avais évidemment pas de mutuelle.

l’instant culturel, instruisez-vous un peu les amis :
« Je suis une ombre loin d’obscurs villages.
A la source du bois j’ai bu
Le silence de Dieu.

Sur mon front vient du métal froid.
Des araignées cherchent mon coeur.
Il y a une lumière qui s’éteint dans ma bouche.

De nuit je me trouvai sur une lande,
Roidi d’ordures et de poussières d’étoiles.
Dans les taillis des noisetiers
Bruirent à nouveau des anges de cristal. »
De Profundis, Georg Trakl

Il y a un an et demi, ma généraliste m’a carrément prescrit 12 séances de ré-éducation du rachis-lombaire. A l’époque je n’étais plus étudiante mais j’étais toujours pauvre, mais je ne lisais plus Trakl, mais je n’avais toujours pas compris le concept de mutuelle. Hein ? quoi ? ils vont me prendre de l’argent tous les mois ? Vous êtes putain de malades. Vous vous rendez compte que vous vous faites voler tous les mois depuis des années ? En plus, moi, je suis jamais malade. (Rectificatif : je suis tout le temps malade mais je vais jamais chez le médecin – nein lien entre ces deux assertions.)
Résultat, il y a trois mois, je suis retournée voir ma généraliste piteusement, les ovaires recroquevillés entre les jambes. « Madame, j’ai mal au dos. »
– Ah bon ? Malgré la rééducation de l’année dernière ?
– Heu… Moi mauvaise fille, vilaine. Jamais pris rendez-vous.
Un autre obstacle à cette foutue rééducation était clairement un problème d’emploi du temps. Je n’ai simplement pas le temps.
Mais quand je me suis retrouvée coincée chez moi pendant que les copines enflammaient tous les dance-floors de la place, j’ai pris rendez-vous. Il se trouve qu’il y a une kiné dans mon immeuble cité. Donc j’y vais en pyjama deux matins par semaine.
Au début ça m’a fait peur. Elle a sorti des fils électriques qu’elle a placé sur mon dos, elle s’est approchée d’une grosse machine et elle m’a dit « je balance le jus et je reviens tout à l’heure, criez si vous avez mal. »
Je n’ai pas crié.
J’ai eu la confirmation d’un trait de mon caractère : j’aime bien la douleur.
Ensuite, c’était chouette parce qu’elle me massait. Sauf qu’elle me parlait tout le temps et ça, c’est un peu angoissant. Ses vacances, son mec, (pas de chance pour moi, ils se sont séparés pendant ma rééducation), sa famille, ses études, « j’ai beaucoup hésité entre kiné et avocate » comment on lui a proposé le rôle principal dans un film de cinéma mais elle pouvait pas fermer le cabinet pendant trois mois, mais elle fait des spectacles de danse toujours, et puis elle écrit aussi.
Après, elle a découvert Radiolatina et elle a mis très fort la musique des gens du soleil et elle m’a parlé encore plus fort pour couvrir le bruit.
Récemment, elle m’a annoncé « on passe à la muscu ». J’aime bien la muscu – c’est mon côté bonne élève.
Mais en m’observant faire mes exercices, son front s’est creusé d’une ride verticale. « Mmmm… Je crois que la prochaine fois, on va travailler la souplesse. »
La prochaine fois, c’était ce matin.
Ca a commencé par « attrapez vos pieds ». pfff… fastoche. J’attrape mes pieds et je fais même des noeuds avec et je la regarde d’un air narquois.
Elle a dit « bien ». Après quoi, elle m’a collé les genoux contre le tapis et elle m’a balancé « recommencez maintenant ».
– Heu… Bah non, si vous me tenez les genoux, c’est pas possible. Faut me lâchez-là.
– Essayez.
J’ai tenté mais je n’ai pas avancé d’un pouce. La suite des exercices c’était pas mieux puisque je ne comprenais même pas ce qu’elle me disait de faire. Ca impliquait de faire bouger des parties de mon corps, (ça s’appelle peut-être des muscles, je suis pas certaine) qui clairement, chez moi, avaient dû fondre à une époque antérieure à la mort de Bérégovoy, peut-être même que Krasucki était encore secrétaire général de la CGT (amis jeunes, ne cherchez pas à comprendre, c’est juste des références de vieux). Et la torture a continué. Cette salope m’a niqué le derrière des genoux. J’ai commencé à paniquer « heu madame pourquoi j’ai l’impression d’avoir des genoux en bois ? C’est pas normal, je dois avoir un truc hyper grave en fait ? « 
Et là, elle a eu cette sublime réponse (la psychologie c’est définitivement pas son truc) :
 » C’est normal *partie rassurante de la phrase* ça arrive fréquemment aux mecs ».
Pute.

Regardez comme il a l’air cool Trakl. (On lit bien dans ses yeux « jeveuxviolermasoeur ».)

partager ce post sur: facebook | twitter |

 

 

3 commentaires pour “La kiné”

  • Merci, j’ai explosé de rire tout seul comme un gland dans le métro en lisant ton commentaire de la photo. Les gens me regardent bizarrement maintenant…

    le 27 avril, 2011 à 18 h 53 min
     
  • Faire rire avec un post vieux d’il y a 2 ans c’est joie. Mais en prime avec Trakl, you make my day.

    le 28 avril, 2011 à 17 h 06 min
     
  • J’ai ri aussi, et encore plus loin dans le futur : )

    Je découvre ton blog, ça me fait plein à lire d’un coup, et j’aime beaucoup. Merci !

    le 18 décembre, 2012 à 16 h 21 min
     

Poster un commentaire