20 mars 2009

Le cas Emmanuelle

Ca, tout le monde connaît. On ne ricane dans le fond de la classe s’il vous plaît. 
Oui, Emmanuelle, la pouf avec son collier, ses nichons à l’air et son fauteuil en osier (que putain, un fauteuil en osier c’est quand même le pire truc du monde dans lequel s’asseoir tellement c’est pas confortable). 
La sortie du film fut même un tel évènement que ma mère qui avait prévu de m’appeler Emmanuelle changea d’avis (et préféra Titiou, oui, oui, tout à fait). 
Mais avant d’être un film culte – décliné par la suite en téléfilms à chier tout pourris – Emmanuelle c’était un livre. 
Et on connaît moins l’histoire du bouquin. Et notamment que ce n’est pas un simple bouquin de cul. C’est à la frontière de la philosophie (au même titre que Sade d’ailleurs). En gros, l’histoire d’une jeune Française qui a épousé un diplomate et l’accompagne vivre à Bangkok. Arrivée là-bas, elle s’emmerde un peu jusqu’au moment où elle rencontre Mario, une espèce de guide iniatique/initiateur qui va la convaincre de « s’ouvrir au plaisir », « abandonner ses appréhensions d’occidentale », « dépasser les interdits » BREF baiser à tout va avec le tout venant. (L’intrigue prétexte : Emmanuelle, elle, elle aimerait beaucoup se taper Mario mais Mario, lui, a l’air plus intéressé par les jeunes conducteurs de taxi thaïlandais et par le fait de prostituer Emmanuelle. Jusqu’au final (attention spoiler) où Mario baise le jeune taxi qui lui-même pénètre Emmanuelle et par un miracle cosmique ils jouissent tous ensemble. C’est beau comme du Manara.)
Si le livre a d’abord été publié de façon anonyme (pas d’auteur ni d’éditeur en 1958), dans sa réédition de 1968 il est signé Emmanuelle Arsan. Sauf que Emmanuelle Arsan est un pseudo, comme elle s’en explique dans un texte assez classe : « A chacun sa schizophrénie! L’anonymat est la mienne. Je ne fais pas parade de mon horreur de la publicité comme d’une vertu : sachant qu’elle me singularise et m’isole au milieu d’une société où le boniment est une obligation morale, je la confesse comme une déviance. Déballer mon identité devant l’interviewer ou le photographe me fait souffrir comme la lumière fait mal aux yeux des albinos. Me vanter ou m’excuser de cette indisposition physique me semblerait toutefois aussi absurde que de tirer gloriole de la couleur de mes cheveux. » Emmanuelle s’appelle en réalité Marayat Andriane. Bah oui. 
Alors, ça c’est la tête d’Emmanuelle dans le film :

Et ça, c’est la vraie tête d’Emmanuelle :

Je dis « la vraie » dans la mesure où le roman semble en (grande ?) partie autobiographique (pour le chauffeur de taxi, j’en sais rien). Marayat épouse un diplomate français à l’âge de 16 ans et part avec lui vivre à Bangkok où elle multiplie les amants et amantes – suffisamment en tout cas pour écrire Emmanuelle à 20 ans.
Et hop, une photo de Marayat à 20 ans :

Quand j’ai lu Emmanuelle pour la première fois, il m’a semblé qu’il y avait un malentendu total entre l’ouvrage que je découvrais et l’image que j’en avais, que la plupart des gens ont à la simple évocation du prénom (rapport au fauteuil en osier, aux nichons et aux perles). Emmanuelle décrit du cul évidemment (mais toujours avec une atmosphère hautement onirique). Mais en parle aussi beaucoup sur le mode de l’utopie vers laquelle chacun devrait tendre. Pendant des pages et des pages Mario expose ses théories quasi-politiques sur l’amour et le sexe comme moteurs du monde, sur des rapports de couple sans hypocrisie ni fausse pudeur. C’est presque mystique et ledit Mario ne se prive pas d’ailleurs pour réinterpréter les grands penseurs religieux, notamment chrétiens comme Saint-Augustin, dans une perspective sexualisante. Chaque chapitre commence par une citation d’auteur classique.
Ce qui est le plus étonnant, c’est ce que André Pierre de Mandiargues a qualifié « d’érotisme radieux ». (« Elle s’éloigne pareillement des idées que nous expose souvent Georges Bataille. sa conception de l’érotisme est optimiste, radieuse, rayonnante, à l’image d’un édifice affirmant la gloire de l’homme dégagé de la glèbe et des servitudes anciennes »). Le sexe comme libération, et non plus asservissement (comme il est d’ordinaire présenté) dans un rapport vécu avec une simplicité assez époustouflante, juste lumineuse. Quelque chose d’un état primitif à retrouver (ou à découvrir), comme l’indique la citation d’Artaud qui ouvre le livre : « Nous ne sommes pas encore au monde / Il n’y a pas encore de monde, / Les choses ne sont pas encore faites, / La raison d’être n’est pas trouvée. » 
Dans le film, le discours politique et religieux a été largement abandonné alors qu’il est sans doute ce qu’il y a de plus choquant dans Emmanuelle
Pour une explication de texte (la culte scène de l’avion) allez voir LA , chez le spécialiste. 

Le cours est fini, vous pouvez ranger vos affaires. La semaine prochaine « les loutres ont-elles un sexe ? »

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Un commentaire pour “Le cas Emmanuelle”

  • Haaan !

    Ma mère n’est donc pas la seule à s’être dit « Ce film est fort ! tiens et si j’appelais ma fille Emmanuelle ? »

    En 6ème, en plus d’être narrative, j’ai dû être créative en faisant ma rédaction « Expliquez d’où vient votre prénom. » : une difficulté supplémentaire, je ne me pose plus de questions sur mes notes lamentables en français…

    le 2 novembre, 2014 à 23 h 04 min
     

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