19 novembre 2008

Du branding à Lacan – soi comme un autre

Bon… On va un peu lâcher Pascale pour tenter une approche plus intello. 
Mais on commence en douceur avec une autre arnaque un autre excellent article sur le sujet, rien que le titre est porteur des plus belles promesses poétiques : « le personal branding ou comment se positionner comme une marque ». Pour un individu, se positionner comme s’il était une marque est effectivement un objectif majeur dans sa construction et son épanouissement.  
Pas besoin d’un diplôme de marketing pour créer votre propre marque personnelle : du bon sens, de la persévérance et du goût pour l’introspection suffisent !” 
Mais de l’introspection positive, pas de l’introspection qui cherche les névroses. Plutôt le type de questionnement autoréflexif qui vous fait vous demander quelle fleur vous seriez. 
Construire sa marque personnelle, explique Béatrice Cuvelier, c’est mettre en œuvre une démarche qui prend en compte vos compétences, votre personnalité, vos qualités distinctives pour en dégager une identité unique.”
Autre approche pour définir la marque personnelle, celle de Peter Montoya, le pape américain du Personal Branding : « Votre marque personnelle, c’est tout simplement l’idée claire, forte et positive qui vient immédiatement à l’esprit des personnes qui vous connaissent quand elles pensent à vous ». 
En fait, votre “marque personnelle” ressemble étrangement à un assemblage de vieilles notions complètement ringardes comme la personnalité ou la réputation mais transférées à un objet/produit. L’originalité consiste ici à réifier l’humain. 
Non mais si Lacan et son putain de stade du miroir entendait ça… (subtile transition vers un truc chiant)
Entre l’apparition du net et le développement d’un certain système de valeurs (les deux étant évidemmment conjoints) c’est comme si l’humanité entière (enfin blanche riche occidentale) était restée coïncée au stade du miroir. 
En bonne pédagogue, je vous propose une petite illustration du stade du miroir lacanien : 

Photobucket

Limpide n’est-ce pas ? 
Pour les sceptiques qui nouriraient un doute sur le sens de ce schéma, laissons la parole à Merleau-Ponty qui commente chez l’enfant la découverte de son reflet dans le miroir.  
« Reconnaître son visage dans le miroir, c’est pour lui apprendre qu’il peut y avoir un spectacle de lui-même. Jusque là il ne s’est jamais vu, ou il ne s’est qu’entrevu du coin de l’œil en regardant les parties de son corps qu’il peut voir. Par l’image dans le miroir il devient spectateur de lui-même. Par l’acquisition de l’image spéculaire l’enfant s’aperçoit qu’il est visible et pour soi et pour autrui. » 
(in Les Relations à autrui chez l’enfant)
L’analyse s’applique de façon troublante à la problématique de l’identité numérique. 
On dirait presque que Merleau raconte les premiers jours de mon inscription sur myspace. Les réseaux sociaux ne sont qu’un immense spectacle de soi-même où l’on devient spectateur de l’identité numérique qu’on se crée, spectacle pour les autres et spectateur des autres. 
L’architecture des sites en elle-même n’est qu’un réseau de miroirs d’individus, de reflets numériques.  
La différence essentielle étant que l’image spéculaire que découvre l’enfant dans le miroir lui est imposée. Il pourra modifier son apparence – pour autant il y aura toujours une image dans la mesure où le miroir n’est qu’une étape dans la confrontation aux autres, alors que le fait d’avoir une identité numérique relève d’un choix (en tout cas, pour le moment). 
« L’image propre en même temps qu’elle rend possible la connaissance de soi, rend possible une sorte d’aliénation : je ne suis plus ce que je me sentais être immédiatement, je suis cette image de moi que m’offre le miroir. Il se produit, pour employer les termes du docteur Lacan, une ” captation ” de moi par mon image spatiale. Du coup je quitte la réalité de mon moi vécu pour me référer constamment à ce moi idéal, fictif ou imaginaire, dont l’image spéculaire est la première ébauche. » 
Je jouis. 
Même si on a l’impression de tout contrôler (c’est-à-dire de tout mettre en oeuvre pour paraitre à son avantage), on est pris dans le même sac à merde identitaire qu’un enfant au stade du miroir. Si l’imposition du reflet est moins brutale puisque l’adulte ne cesse d’orienter son profil (comme on pencherait la tête à gauche devant le miroir pour paraitre plus beau), on se retrouve tout de même avec un double de nous, un double idéalisé au possible auquel on risque de se référer de plus en plus.  
Et on subit alors le même phénomène de « captation de soi » par son identité numérique. On est d’autant plus pris au piège enfantin de cette exposition perpétuelle de soi que constituent les réseaux sociaux qu’on est encore aux prémisses du phénomène. On découvre cet univers (son profil, sa page), on se l’approprie comme un nouveau jouet sans être éduqué pour, ni même préparé. Chacun improvise son mode d’emploi. (Improvisation totale puisque même sur le plan intellectuel le sujet n’a pas encore traité en profondeur.)  

« En ce sens je suis arraché à moi-même, et l’image du miroir me prépare à une autre aliénation encore plus grave, qui sera l’aliénation par autrui. Car de moi-même justement les autres n’ont que cette image extérieure analogue à celle qu’on voit dans le miroir, et par conséquent autrui m’arrachera à l’intimité immédiate bien plus sûrement que le miroir. »  
Là, on retrouve une source d’inépuisables malentendus sur facebook ou myspace, l’impression d’avoir été arnaqué par le profil de quelqu’un – plus rarement la sensation d’arnaquer l’autre en se construisant un personnage. 
N.B. : je parle d’identité numérique en sachant que le terme évoque un flou artistique tellement il est employé avec des significations différentes. 
 
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Un commentaire pour “Du branding à Lacan – soi comme un autre”

  • Superbe.
    Lire « réifier » suffit d’ordinaire à mon bonheur, mais là, à côté des citations de Merleau-Ponty (♥), ça devient presque du bonus. Je demande plus de posts comme celui-ci !

    le 6 février, 2011 à 17 h 25 min
     

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