13 octobre 2008

D’habitude elle est normale

J’aime bien m’entourer de copines résolument folles. Mais j’aime aussi avoir des amies pas folles (penser à arrêter de regarder Carla Bruni aux Guignols de l’Infos). Samedi dernier, c’était shopping avec copine pas folle. Une fille équilibrée, saine, stable, fiable. Mais quand elle m’a dit qu’elle devait passer au BHV, j’aurais dû me méfier. Les parisiennes, elles ne vont pas au BHV parce qu’elles savent que c’est de l’arnaque. C’était quasiment un des principes éducatifs de ma mère, et ma mère c’est la parisienne par excellence (belle, mince et élégante). Bref, cette proposition de BHV, c’était louche. Encore plus louche, le son de sa voix entre exaltation et impatience en me répétant « il faut ab-so-lu-ment que j’aille au BHV au-jour-d’hui« .

Arrivée dans le magasin, elle fait une première chose stupéfiante : elle sort une liste. En même temps, elle fait tout le temps des listes. Mais là, plantée au milieu de la boutique, elle a brandi sa liste avec un regard littéralement illuminé et j’ai assez vite compris que j’allais assister à quelque chose d’aussi extra-ordinaire que la reproduction des tortues de mer : une fille normale en plein épisode névrotique. D’abord, il fallait du déo X. Je me retourne et lui montre que « bah tiens, ça tombe bien, on est au rayon de la marque X ». Son visage s’obscurcit. Et de m’expliquer que ce n’est pas n’importe quel déo X, pas celui avec la bille, ni le stick, ni le grand spray, mais le petit de poche avec un pchitt. Je vois très bien, je me rappelle de la pub en 1999. Evidemment, au milieu des 3 milliards de déos du BHV, il n’y avait pas celui-là puisqu’à mon avis ils ont arrêté la production en 2003.

Ensuite, rayon papeterie. Et là, le massacre. Je sens tout son corps se tendre brusquement et son regard s’aiguiser comme celui d’une tueuse spécialisée en torture psychologique. Une espèce de Aussares de la papeterie. La meuf elle a même pas besoin d’adresser la parole au vendeur, il suffit qu’elle se dirige vers lui pour que, saisi de terreur, il sorte son coupe-papier et se l’enfonce dans le bide.
Pourtant, elle a commencé mollo. Il fallait des posts-it. Mais des posts-it sans motif imprimé. Mais pas les carrés parce que vous comprenez bien C’EST PAS PRATIQUE POUR FAIRE DES LISTES.
Ensuite, un petit carnet. Ca, je sais que le choix d’un petit carnet, c’est hyper important. Elle voulait un petit carnet moleskine. Bien.Mais pas moleskine Madrid, pas moleskine Porto, pas moleskine Barcelone (ils ont décliné un nombre de versions assez dingue). En résumé, elle voulait celui qu’ils n’avaient pas. J’ai cru qu’elle allait sauter à la gorge du vendeur pour lui arracher la carotyde avec les dents mais je la félicite parce qu’elle a fait un gros effort pour prendre sur elle.
C’est donc passablement contrariée qu’elle est passée au rayon stylos. Pratique, ça répondait à une question que je me suis souvent posée le soir en m’endormant : mais qui peut bien encore acheter des stylos ? Une fois le bac en poche, on se vole tous les stylos les uns les autres. C’est un peu comme les briquets. Mais je dois vraiment avoir une sacrée déficience intellectuelle pour ne pas avoir anticiper la raison de cet achat. Parce que ce n’est pas avec n’importe quel stylo qu’on peut faire de bonnes listes. Non. Il faut le BPS-matic fin, encre ultra soft, cône métal résistant. Miracle, ils en avaient. La preuve en image

Cette bonne nouvelle m’a valu un sourire suivi d’un léger gloussement de satisfaction névrotique. J’en ai profité pour lui faire remarquer que son comportement était un peu anormal. Pleine d’aplomb, elle m’a répondu « je sais, j’ai un problème avec ça ». « Ca » étant donc le rayon papeterie du bhv…
Et enfin, le clou, dans la bible ils appellent ça l’apocalypse, l’achat d’un cahier. Là, je commençais à être rodée. J’étais certaine qu’elle avait une prise de position très politique sur spirale ou pas spirale et qu’elle allait nous casser les couilles avec la taille des carreaux. Et bin, je l’avais sous-estimée. J’étais encore en-dessous de la vérité. D’abord, spirale. ok. Ensuite je lui demande « petits ou grands carreaux ? » et là, je la sens bizarrement évasive. Fuyante. Finalement elle me lâche « lignes horizontales ». Ah ouais… Quand même… Le truc dont personne se sert. Par miracle, j’arrive à lui trouver un grand cahier à spirale ligne horizontale. Elle y jette un coup d’oeil d’experte. « Non, ça va pas. » Mon regard ahuri passe alternativement du cahier à la copine en plein épisode névrotique. Bon sang mais c’est bien sûr, le problème c’est qu’il y avait des marges autour des pages. Et il fallait des lignes horizontales qui vont jusqu’au bout de la feuille. On cherche avec l’aide de deux vendeurs. Et ils nous trouvent un grand cahier avec spirale et des lignes horizontales qui vont jusqu’au bout de la feuille sans marge. Impeccable. Du bout des doigts, elle prend le cahier. Le suspens est à son comble. Dans les cinq étages du BHV les clients ont cessé de respirer. D’un air taciturne elle le feuillette, peut-être même avec une pointe de dégoût. Je l’encourage d’un « il est parfait celui-là, non ? » Et là, vous y croirez ou pas mais je vous jure que c’est véridique, elle baisse vers moi un regard super embêté avant de me répondre :
– Il a trop de pages.

CE POST EST DEDIE A JEAN.

partager ce post sur: facebook | twitter |

 

 

2 commentaires pour “D’habitude elle est normale”

  • Mouhahahahahaha… ta copine, ça pourrait être moi ! Mais en général, j’évite d’aller dans des papeteries avec des gens que je connais, j’aurais trop honte ^^

    le 6 août, 2010 à 12 h 47 min
     
  • C’est grave si je me reconnais complètement dans ce comportement « anormal », entre excitation et fascination ? Bon OK, ça me fait toujours ça quand je rentre dans une papeterie et alors…

    le 21 juillet, 2013 à 14 h 57 min
     

Poster un commentaire