21 septembre 2009

Inde part one

Z’étais partie en vacances et oui, vous allez vous taper le récit de mon périple – comme ça, ça évitera à mes amis d’en supporter la narration in extenso de visu (j’ai fait latin en 4ème). De ces quelques jours de pseudos repos (si vous voulez vous reposer, évitez les séjours dans les pays en voie de développement), je tire une première conclusion : il est possible de vivre sans internet.
Je tire une deuxième conclusion : il est possible de vivre sans internet dans des poubelles.
Je tire une troisième conclusion : il existe au moins un pays où les notions de dignité humaine, respect de l’autre, hygiène et haut débit sont totalement caduques.
Ce pays c’est l’Inde qui devrait me demander de rédiger leurs brochures touristiques si seulement ils savaient ce qu’est le papier.
Alors sur l’Inde, en règle générale, y’a deux discours dominants.
Le discours : j’ai eu une illumination mystique (accessoirement je suis le géniteur de Titiou Lecoq et j’ai énormément apprécié la diversité et la puissance des drogues que me propose ce pays magique aux mille léproseries)
Le discours : la misère c’est quand même terrible-terrible.
Autant dire que je ne plussoie ni à l’un pas plus qu’à l’autre. De révélation mystique : nulle. Oui, j’ai vu des cadavres brûler sur le bord du Gange, oui les cheveux humains pendant la crémation ça fait des flammes chelous (qui piquent beaucoup les yeux – là, vous devinez que ces vacances c’était le comble du romantisme). Mais ça n’a pas élevé d’un iota (j’ai aussi fait grec ancien au lycée) mon taux de spiritualité qui en avait bien besoin, vilaine mécréante que je suis. Pourtant, une religion faite à base de pokémons dégénérés pouvait potentiellement me séduire :
mais en fait non.
Par contre, en apprentie politologue, j’ai été fascinée par l’intériorisation par les sujets de leur nature de sous-humains. (Et là, ça va être très très compliqué de ne pas faire de blagounettes sur les juifs qui eux, avaient moyen bien intériorisé leur nature de rien du tout et pourtant, Adolf c’était pas faute d’avoir pris du temps pour leur expliquer – en s’inspirant au passage du système indien). Si jusqu’alors le principe des castes m’était connu comme une curiosité exotique, j’ai pu constater ses appliquations concrètes.
D’abord, force est de remarquer que les individus des castes inférieures sont de couleur foncée tandis que les castes supérieures s’approchent de la blancheur. Exemple avec un papa intouchable :

De là à déduire que le système des castes recouvre un système racial il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas dans la mesure où la notion de race telle que nous l’entendons n’a pas de sens là-bas. Mais les termes race et caste présente une similitude troublante. A ceci près que dans un système racial, l’appartenance à une prétendue race (basée sur des traits physiques extérieurs) détermine une infériorité génétique, tantdis que dans le système de caste indien si l’infériorité est également liée à la naissance, elle est d’ordre spirituel et non plus génétique. Si vous naissez dans la caste des serviteurs, c’est qu’au cours de vos vies antérieures vous n’avez pas atteint un degré de pureté spirituelle suffisant. (Donc vous êtes noirs, vous êtes impurs – marrant comme certaines prémisses raciales fonctionnent partout dans le monde.) Evidemment, si vous ne croyez pas aux vies antérieures, ce système apparait simplement comme une absurdité inique – qu’on peut traduire par : si t’es l’enfant de tes parents c’est que t’es une merde.
Illustration en images avec la fille aînée du papa intouchable :

Cette logique étant admise par les parents, si mon enfant est mon enfant c’est qu’il a dû sacrément déconné avec son karma antérieurement, et par les enfants eux-mêmes (mais là, ça prend un peu plus de temps, quand ils sont petits, ils ont encore des velléités de survie).
Donc nous voici face à un système politique frôlant un genre de perfection si la perfection politique consistait à maintenir chaque citoyen à sa place selon le principe de la soumission volontaire. Ainsi, le plus troublant n’est pas de voir des gens crever à petit feu sur les trottoirs au milieu de la merde et des poubelles (ça, ça serait la réaction « la misère c’est vraiment terrible ») mais de voir des gens accepter de crever à petit feu au milieu de la merde et des poubelle sans aucune volonté de s’en sortir ou d’améliorer leurs conditions de vie. Tu vis sur le trottoir devant un immeuble de toute évidence abandonné mais jamais t’iras squatter le bâtiment pour au moins abriter tes enfants. Bah non, ça sert à rien, vaut mieux améliorer ton karma pour avoir une meilleure vie à ta prochaine réincarnation. Et ça, pour une occidentale, c’est choquant. Ou comment les croyances religieuses parviennent à convaincre des individus d’accepter l’inacceptable – l’absence de dignité humaine.
Deuxième choc. En France, tous les hivers on regarde les reportages sur les sdf qui meurent dans la rue et on se dit avec une mauvaise conscience de nanti qui profite du chauffage que c’est terrible mais qu’est-ce qu’on peut faire à part appeler le samu quand un clodo git dans la rue inanimé. On est admiratif et reconnaissant aux équipes du samu social qui les prend en charge, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans notre vilaine société libérale. Bref, on ne fait rien et pourtant on considère que cette situation est anormale. Et d’ordinaire, on se flagelle de cette contradiction entre nos discours humanistes et notre absence d’action. Mais tout compte fait, je préfére vivre dans une société tiraillée par ces contradictions que dans celle qui considère comme normal que des gens vivent dans le dénuement le plus total. A Calcutta, sur la chaussée, une jeune maman (dans les 19 ans) gisait, à moitié évanouie, son bébé accroché à son sein. Il essayait de téter un sein stérile et flétri, et appuyait avec ses deux mains sur la poitrine de sa mère mourante. C’était dans le quartier des affaires. Il était 15h et des centaines d’hommes avec des centaines d’attachés-case passaient et contournaient la jeune femme pour pouvoir traverser. Evidemment, personne ne s’est arrêté, évidemment personne n’a hésité une seconde à s’arrêter, et la seule réaction générale a été le regard de dégoût que portent habituellement les Parisiens sur les pigeons écrasés. Je ne l’ai pas prise en photo hein, mais par contre, après hésitation, j’ai pris le petit dernier du papa intouchable (qu’il tenait sur ses genoux), un papa très embêté parce qu’on venait de lui faire l’aumône de tranches de pain de mie mais qu’il n’avait plus de lait pour le nourrisson.
Et là, on rejoint la question juive via l’analyse de Sartre. Parce que l’identité de l’intouchable ou du serviteur se construit évidemment avant tout par le regard de l’autre. C’est l’autre qui, par un geste de la main dédaigneux, par un regard méprisant, par un éclat de rire (comme cet Indien qui regardait avec moi la famille intouchable en photo ci-dessus et qui, voyant les frères et soeurs se battre pour des tranches de pain de mie, a éclaté de rire alors que j’étais sur le point de vomir d’horreur), c’est le regard de cet autre donc sur ces enfants qui fait en partie d’eux des parias, qui leur fait intérioriser leur sous-nature en leur imposant l’idée que c’est normal – et mérité.
J’ai bien entendu pensé au relativisme culturel. Le fameux relativisme qui nous dit qu’il faut cesser de vouloir importer/imposer nos valeurs occidentales et matérialistes dans des pays dont ce n’est pas l’histoire intellectuelle ou culturelle. Qu’il faut respecter la différence.
Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que toute philosophie, religion ou croyance atteint sa limite quand elle justifie la mort de faim d’un nourrisson au milieu d’une rue et de l’indifférence générale. Et qu’un matérialisme qui fait considérer que chaque famille mérite d’avoir un toit, de la nourriture, des médicaments et de l’eau courante n’est peut-être pas si abominable qu’on le pense d’ordinaire.
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8 commentaires pour “Inde part one”

  • Je tombe aujourd’hui sur cet article génial et bouleversant.

    Je remarque tout de même que dans mon pays d’origine comme dans beaucoup de pays d’AmLat la banalisation de la misère conduit parfois à ne plus faire attention à ces scènes horribles. Au pire on s’en fout, au mieux on se rend vite compte (par exemple en faisant de l’humanitaire) que de toute façon on ne peut rien faire.

    le 2 avril, 2010 à 12 h 53 min
     
  • Je poste de Delhi avec une connexion 100MBP/s nah!

    le 11 mai, 2010 à 12 h 08 min
     
  • Il est difficile de réagir à un tel article, en fait.
    Sur le petit passage qui choque certains d’après tes dires, je ne sais pas si hitler s’est inspiré des Indiens. Et puis, il est quand même allé beaucoup plus loin, vu qu’il a passé allègrement le pas vers l’extermination, alors que les indiens n’ont jamais réellement cherché l’extermination des basses castes, si?
    Je ne suis pas sur que la comparaison tienne vraiment si ce n’est sur cet aspect de « sous humains » que les castes « supérieures » ont des « inférieures ».
    Sinon, c’est un problème complexe que la misère humaine. Parce que oui, c’est inacceptable, et oui, comme tu l’as si bien dit, beaucoup d’entre nous vivent dans une auto-flagellation de l’acceptation de notre impuissance face à ce qui nous révolte. A moindre échelle, ce qui est vrai là bas, l’est ici aussi. Certains sans abris préfèrent réellement vivre en marge de la société. Mais c’est en général conséquence d’un certains nombre de choses, donc rien à voir avec l’inde au niveau « causes ». Par contre, au niveau conséquence, on peut parfois faire le même constat : difficile de les aider quand ils le refusent.

    Les intouchables, en Inde, c’est vraiment atroce. Et certaines choses manquent d’une logique qui me fait halluciner (je suis un être assez logique, et j’ai tendance à le projeter, il faudrait que j’apprenne à arrêter :p). Comment peut-on croire au karma de l’âme et à la réincarnation et se moquer, rire, jouir même, du malheur d’un être humain, fut-il un intouchable? N’est-ce pas là simplement donner au destin le bâton qui les battra en les faisant intouchables dans leur vie suivante?

    Un des problèmes qui m’inquiète le plus par rapport à l’Inde est la possibilité d’une évolution de cette situation. Un peu comme en Chine et en Afrique, l’Occident est bien trop content de trouver de la main d’oeuvre pas chère et des marchés potentiels énormes pour oser mettre un coup de pied dans la fourmilière pour changer les choses. Quel avenir pour l’Inde si les choses continuent comme ça? Les hautes castes toujours plus riches, dominantes, puantes de prétentions, et des intouchables qui seront de plus en plus pauvres, limite rendues à l’état d’animal, en pire, puisque sevré de son instinct et de son désir de survie? Simple victime expiatoire d’un système pervertit?

    Parfois, il est bon d’être dans une société de râleurs…

    le 19 juin, 2010 à 22 h 30 min
     
  • Oui et donc, conclusion de l’article : « la misère c’est quand même terrible-terrible », c’est bien ça ? Où comment écrire un post entier pour mieux contredire son introduction…
    Tu peux toujours te lancer dans le charity-business, à ce stade d’incompréhension et de mépris, tu devrais pouvoir te faire du fric sur leur dos.

    le 20 juin, 2010 à 11 h 01 min
     
  • Je pense que ca evolue dans le bon sens, et franchement les indiens eduques se foutent des castes, mangent du boeuf et portent pas beaucoup de saris roses fluos.

    le 25 juin, 2010 à 12 h 23 min
     
  • Totalement d’accord avec toi.

    le 10 août, 2010 à 12 h 17 min
     
  • Bonsoir,

    Quel article! Et quel style! J’aime beaucoup.
    Je t’invite modestement à lire mon blog, le dernier post, sur Varanasi… je croyais me lire, si ce n’est que tu as poussé/tiré un peu plus loin l’analyse de castes. Poussé plus loin, ou poussé un peu le bouchon ?
    Je ne sais pas combien de temps tu es restée en Inde, et ce que tu y as fait (il faut que je lise le reste)
    Je me dis que c’est certes choquant, que le système de castes est très perturbant – en même temps, les ordres sous l’ancien régime ne l’étaient-il pas ?
    Je suis d’accord avec toi, entendons-nous : je suis occidental, individualiste, et je trouve la résignation (karmique) indienne à rester à sa place parce que « c’est le grand cycle des réincarnations, si j’y suis c’est que je le mérite)… je la trouve d’ailleurs aussi épouvantable que la très chrétienne « heureux les pauvres d’esprit, le royaume des cieux leur appartient » ou « les derniers seront les premiers au paradis ».
    Il faut considérer, néanmoins, que ce système de castes existe déjà lorsque le Mahabharata est écrit, il y a 4200 ans, que beaucoup de choses fonctionnement, dans la tête des indiens, totalement différemment que dans la tête d’un occidental… et que leur société évolue déjà très vite : le taux de mariages arrangés a « beaucoup » chuté en 30 ans, (de 95 à 80% …), les basses castes peuvent beaucoup plus accéder à une éducation, et comme la distribution des métiers change avec l’industrialisation et la tertiarisation, certaines situations sociales évoluent aussi assez vite, beaucoup plus vite que tout ce qui était possible avant, où un intouchable restait un intouchable… alors certes c’est insoutenable de voir des enfants chier en face de soi dans une rue (vécu) … certes il y a d’horribles inégalités, la redistribution est totalement insuffisante, et la corruption répandue… maintenant, je voudrais juste dire que c’est un pays extraordinaire, une civilisation originale certes touchée par l’occidentalisation, mais tellement vivante et vraiment différente, où j’ai rencontré des gens extraordinaires et vécu la période la plus intense de ma petite existence.

    Au plaisir,

    le 20 septembre, 2010 à 23 h 41 min
     
  • Bon, alors je lis le blog depuis un petit moment, je suis fan et j’y passe/perds mes après-midi, mais là suis pas tout à fait d’accord.
    j’étais partie pour écrire un long truc, mais ça me semble prétentieux de ma part, d’autant que c’est pas toujours très clair quand j’essaie de donner mon avis.
    Juste, je te conseille un livre qui date un peu, Viramma, une vie paria, un peu cru mais vraiment très intéressant.
    et dire aussi que l’Inde a aussi de bons côtés, c’est pas Slumdog Millionaire non plus (le livre était d’ailleurs bien mieux). Ya même des gens pas hyper pauvres qui y sont heureux!!

    le 17 mai, 2011 à 19 h 50 min
     

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