2 octobre 2010

Coach parle de Morandini et de marinière

Je suis essorée, ma vie ressemble à la rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection (Lautréamont, les chants de Maldoror). En conséquence de quoi, je ne peux pas trop bloguer en ce moment vu que j’ai un besoin vital de faire des listes et des planifications de vie.

Bref. Aujourd’hui je vais vous laisser seuls avec coach (j’aime coach d’amour) pour qu’il vous raconte une histoire qu’elle est belle comme une parabole biblique, sauf qu’elle parle pas d’amour, de petits pains et de prostituées mais de l’état de la presse.

Morandini, il cite peut-être pas ses sources mais au moins il en a

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Le sujet est anodin, l’article tout autant. Et pourtant… Tout commence par un papier sur les marinières dans le magazine Elle du 10 septembre 2010. Penelope Cruz en Une et déjà cette accroche sur la couverture « Polémique : faut-il jeter sa marinière ? ». L’article en double page (p. 64-65) argumente sur les raisons ou non de jeter cet habit, un peu trop à la mode pour celles et ceux dont la raison de vivre est de ne porter que ce qui n’est pas encore hype.

Non, il ne s’agit pas de prendre position, je vous rassure. Ce qui m’intéresse, c’est une petite phrase qui débute le deuxième paragraphe : « On raconte qu’un journaliste d’un magazine de mode a lancé une circulaire pour interdire le port de la marinière à ses consoeurs, horrifié de voir, chaque jour, au moins une sur deux arborant son pull à rayures bleu et blanc ».

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Il faut bien décrypter cette phrase pour en comprendre tous les tenants et enjeux :

1°) « on raconte » : c’est une histoire qui circule de manière persistante, on peut imaginer entre gens de la mode, chez les journalistes spécialisés… L’emploi du « on » signifie soit que le journaliste-enquêteur veut protéger ses sources, soit qu’il n’y a pas eu accès directement mais que dans ce cas, l’info est suffisamment crédible et recoupée pour être publiée.

2°) « un journaliste d’un magazine de mode » : c’est sérieux. On parle d’un journaliste d’un magazine de mode, quelqu’un d’influent, d’important dans la chaîne de production de valeur d’un support papier, quelqu’un qui ne plaisante pas avec la déontologie et qui met un point d’honneur à être à la hauteur de ce que son métier lui impose.

3°) « une circulaire » : on est dans le langage volontaro-sarkozyste. Ce journaliste n’a pas fait une note interne, un mail… Non, il a fait une circulaire. « En droit français, une circulaire est un texte destiné aux membres d’un service, d’une entreprise, d’une administration », selon Wikipédia. Rapportons nous à ce qu’elle signifie dans la fonction publique pour en comprendre le véritable enjeu : « une circulaire est un texte émanant d’un ministère et destiné à donner une interprétation d’un texte de loi ou d’un règlement (décret, arrêté), afin que ce texte soit appliqué de manière uniforme sur le territoire. » Par exemple, l’expulsion des roms fait l’objet d’une circulaire.

4°) « pour interdire le port de la marinière à ses consoeurs » : on retrouve l’aspect coercitif et sans exception possible, de la circulaire, mais surtout on apprend que le conflit oppose UN homme et DES femmes et c’est le rôle de l’homme que de sortir la femme de sa condition de gnou qui va boire dans la rivière où il y a le crocodile parce que sa collègue gnou d’à côté y va. Ou alors il y a une interprétation sous-jacente encore plus misogyne mais je n’ose y croire tellement on ne sait jamais où placer le « y ».

5°) « horrifié de voir » : nous avons affaire à un journaliste, quelqu’un de sérieux donc, et pour qu’il soit horrifié, faut vraiment que ça soit grave. Oui, le journaliste, il a forcément assisté à un conflit, deux génocides, six émeutes, ou fait l’interview d’un mannequin, donc il en a vu d’autres et il en faut pour le choquer. Mais là, il n’est même pas choqué. Il est HORRIFIE.

Voilà, vous ricaniez peut-être au début de cette note, mais je vous sens blêmir. Parce que la manière dont on vous raconte cette histoire, la terminologie employée, la dramaturgie et la mise en scène de l’info, tout est fait que vous pensiez que tout est VRAI et GRAVE.

Passé ce même terrible moment d’effroi lorsque j’ai appréhendé ce que cette phrase représentait, j’ai aussi réalisé que cette histoire me disait vaguement quelque chose. Et pas seulement parce qu’ « on » me l’avait raconté.

D’abord, je me suis dit à moi-même :

« Tiens, c’est marrant, moi aussi, y’a pas longtemps j’ai été journaliste dans un magazine de mode ».

Et puis, je me suis dit aussi :

« Tiens, c’est marrant, moi aussi, y’a pas longtemps j’ai été journaliste dans un magazine de mode et j’avais noté que beaucoup de monde dans ma boîte portait la marinière. »

Et puis, je me suis dit encore :

« Tiens, c’est marrant, moi aussi, y’a pas longtemps j’ai été journaliste dans un magazine de mode et j’avais noté que beaucoup de monde dans ma boîte portait la marinière et je passais mon temps à ricaner grassement de cette mode grégaire. »

Et puis, je me suis souvenu d’autre chose de plus précis. Le 3 décembre 2009, je participais à une réunion de l’ensemble de la rédaction de Grazia,le magazine de mode en question. Réunion au cours de laquelle on aurait pu croire que bon nombre de participants s’était donné le mot pour porter la marinière. Nous avons un peu déconné sur l’uniformité des goûts, et au sortir de cette réunion, l’assistante de la rédaction a diffusé ce mail à tout le monde pour poursuivre la blague :

mail grazia

Alors, voilà, maintenant, je me demande si ce mail a un lien avec la fameuse circulaire. Parce que si c’est le cas, je rêverais de pouvoir remonter le fil du téléphone arabe pour savoir comment une blague de potache se transforme en info centrale d’un article. Juste pour comprendre. Et rire aussi. Ou pleurer.

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27 commentaires pour “Coach parle de Morandini et de marinière”

  • Oh la vache, énorme !!!

    le 2 octobre, 2010 à 12 h 54 min
     
  • Grave \o/

    le 2 octobre, 2010 à 12 h 56 min
     
  • Ceci me fait penser à l’arnaque d’Abdel dans Le Point, dévoilée sur @si :
    http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3410

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 05 min
     
  • Et l’histoire risque logiquement de se transformer en légende urbaine ou comment un journaliste de mode a fini par débiter tte la rédaction de son magazine à la tronçonneuse après avoir développé une réaction psychotique à la marinière….

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 15 min
     
  • C’est la même logique. Je persiste à penser que l’obtention d’une carte de presse devrait aller avec genre de serment d’Hyppocrate.

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 16 min
     
  • @Florian : mouarf… On raconte d’ailleurs qu’après le massacre, le journaliste a retourné la tronçonneuse contre lui et s’est auto-découpé en rayures horizontales.
    Ensuite, y’aura un débat Les politiques face au Français sur le thème « La mode va-t-elle trop loin ? »

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 20 min
     
  • Trouvé sur grazia.fr :
    Sur Girls&Geeks, le vendredi, c’est sexe. Un rendez-vous hebdomadaire que Titiou Lecoq prend très au sérieux. La bloggeuse analyse l’évolution des comportements sexuels, de Maupassant à l’industrie du X. La pornographie la fascine. Pour grazia.fr, elle décrypte les nouvelles pratiques de consommation.

    « la pornographie la fascine ». J’avais pas remarqué, mais s’ils le disent.
    Sinon, pas mal la photo avec la clope sous le panneau no smoking.

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 22 min
     
  • @j2s : C’est vieux ça, c’était y’a un an. J’ai effectivement beaucoup parlé du porno – plus que du sexe en général mais du coup, c’est dans les archives.

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 27 min
     
  • Ce qui est bizarre c’est que l’assistantE de la rédaction se soit transformée en UN journaliste. C’est sans doute plus crédible.

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 29 min
     
  • Je n’ai pas compris la relation entre le titre « Morandini » et l’image « A Mondadori France »… est-ce une confusion ?

    Pour ce qui est de ta dispo Titiou, c’est vrai que comme tout le monde, j’avais remarqué la baisse de MaJ de ton blog. ce que je regrette beaucoup. Je compense avec Maïa Mazaurette, mais ton ton plus acerbe et trash me manque !

    Tu as bien du courage à bosser chez des-zé(ré)brés :)

    le 2 octobre, 2010 à 13 h 56 min
     
  • Après avoir laissé un message au crayon « Jean-Paul Gaultier m’a tuer »

    le 2 octobre, 2010 à 14 h 20 min
     
  • @Blandine : Pour beaucoup de gens, un mail issu d’une assistante de rédaction ne peut être que le fruit dicté par UN journaliste et non l’émanation de sa volonté propre.
    J’en veut pour preuve le dernier mail collectif d’une assistante que j’ai reçu et qui a suscité comme première réaction de mon voisin de bureau « C’est *BIP* qui a demandé ça ? » (*BIP* étant notre chef), alors que le mail était nominativement signé par l’assistante.

    le 2 octobre, 2010 à 17 h 15 min
     
  • ce que je note, c’est que dans ce post, tu parles de « faire des listes » ET de « gnous », et ça, ça me fait très plaisir
    TOI-MÊME TU SAIS

    le 3 octobre, 2010 à 0 h 59 min
     
  • Après la chatte aux spaghetti, la marinière de même moule flétrie ici ??

    le 3 octobre, 2010 à 11 h 03 min
     
  • Rien à voir mais bizarre, mon commentaire est toujours en cours de modération alors que depuis d’autres ont été approuvés.
    Il n’y a pas de lien internet dedans… est-ce le nom que j’y place ? (il n’ y a vraiment pas de quoi).

    le 3 octobre, 2010 à 11 h 55 min
     
  • @blandine : ce qui s’est passé au Point est quand même bien plus grave, même si cette petite histoire est symptomatique de certains travers de la presse française.

    @sclapel : aucun lien. Morandini, c’est juste pour faire une blague dans le titre car il « oublie » parfois de citer ses sources. Mondadori, c’est le nom du groupe de presse qui édite Grazia, j’ai laissé la signature au bas du mail pour en attester de la véracité. Et je suis bien d’accord avec toi, faudrait qu’elle se bouge un peu le cul Titiou

    @ondine : MOI-même je sais

    le 3 octobre, 2010 à 12 h 14 min
     
  • cadeau
    http://somerset.tumblr.com/post/1202232980

    le 3 octobre, 2010 à 16 h 47 min
     
  • @Coach et @Ondine

    Bon, ok vous savez.

    Crachez donc le morceau bande de comploteurs ! (à ne pas confondre avec con peloteur, c’est moi).

    le 4 octobre, 2010 à 8 h 15 min
     
  • Titiou est dans Elle ! Titiou est dans Elle ! *like like like* \o/

    le 4 octobre, 2010 à 9 h 21 min
     
  • Et ce qu’on apprend grâce à cet article, c’est qu’on utilise « voire même » dans les rédactions de Mondadori, pas étonnant que ça rende les journalistes neurasthéniques.

    le 4 octobre, 2010 à 13 h 18 min
     
  • Y en a qui auraient préféré dans LUI ?

    le 5 octobre, 2010 à 15 h 52 min
     
  • Mais au final, il faut la jeter ou pas, la marinière ?

    le 5 octobre, 2010 à 16 h 04 min
     
  • Avant j’étais triste… Et puis j’ai découvert Girls and Geeks ! Merci merci, encore merci. De l’esprit, de la classe, de la belle langue… et de l’esprit (enfin!)

    le 5 octobre, 2010 à 18 h 27 min
     
  • Dans un autre style : le phénomène « marinière » dans son contexte :
    http://www.julypouce.fr/?p=560

    le 6 octobre, 2010 à 11 h 39 min
     
  • Magique cet article, tout simplement magique…

    le 6 octobre, 2010 à 12 h 44 min
     
  • En meme temps ca te va bien les cernes et les cheuveux crados…

    le 10 octobre, 2010 à 10 h 28 min
     
  • Sa me fais me demander , pour les articles plus serieux c’est pareil ? ou il font plus « d’investigation » ? :D

    le 12 octobre, 2010 à 16 h 21 min
     

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