1 juillet 2009

Je lève le mystère

Comme je m’en branle grave la moule de me faire virer maintenant – tant qu’on ne me demande pas de rembourser mes trois ans et demi de salaires mirobolants – parce que je finis mon travaillement alimentaire la semaine prochaine, je vais vous en révéler la nature. Je travaille/travaillais à la vie scolaire d’un lycée professionnel de fils/aiguilles/ciseaux. (Je m’en fiche de me faire virer mais j’ai pas non plus envie de voir débarquer ici des anciennes élèves alors je crypte.) 
Dans l’éducation nationale, l’abréviation LP donne des frissons d’horreur à la plupart des gens. Mais assez vite, il s’est révélé que les élèves n’étaient pas le réel problème de cet établissement. A elles, difficiles d’en vouloir. Quand vous avez 15 ans, que vous voulez faire un CAP coiffure ou petite enfance (ELLES VEULENT TOUTES FAIRE CA, c’est dingue cette génération de coiffeuse/esthéticienne/garde d’enfants) et qu’on vous met en CAP Chleurs nartificielles vous avez des raisons de faire chier. Oui, oui, vous avez bien lu CAP de Chleurs nartificielles (je me dis qu’en rajoutant des lettres ça sortira pas en résultats google, pour ceux qui ne sont pas très forts en rébus, une chleur c’est un truc végétal du type rose ou marguerite et nartificelles c’est quand elles sont fabriquées avec du tissu plutôt qu’avec de la chlorophylle). Comme on me l’a souvent répété durant ces trois années, comme je me surprends à l’ânonner moi-même : « on est le seul établissement en France à préparer cet examen ». Tiens, MAIS TU M’ETONNES PARDI. Et vous vous êtes jamais demandés pourquoi ? Peut-être parce que fabriquer des chleurs nartificielles A LA MAIN présente un intérêt scolaire très très limité de nos jours – à moins d’avoir 8 ans, de vivre dans un pays en « voie de développement » et d’avoir à charge une famille de paysans affamés par le gouvernement totalitaire dudit pays. 
La noderie à la limite, je veux bien. (La noderie c’est genre de la dentelle vous voyez.) Parce que oui, mesdames messieurs, on prépare aussi au CAP de noderie. On est comme ça, on est des oufs dans ce lycée, on prend des paris de malade sur l’avenir du textile main. La noderie donc c’est utile pour la haute couture – encore faut-il être une excellente nodeuse. Mais des chleurs… ça serait une formation chleurs couplée avec nouture ou gapeau (=couvre-chef) pourquoi pas. Mais que des foutues chleurs… Et ces gamines passent huit heures par jour à fabriquer des chleurs avec des outils du 19ème siècle. 
Comme on est des sacrés déglingos, on prépare également à un examen de flumes. Et ouais, ça vous en bouche un coin ça ? Ca sert à quoi ? Bah à devenir flumassière évidemment. Un putain de boulot d’avenir. parce que tant qu’il y aura des choiseaux il y aura des flumes. Quand je vous dis que nous, on a tout compris au marché du travail. 
Dans le fond, moi je dis les chleurs nartificielles pourquoi pas. Ca peut être un complément à une formation,  un enseignement en option. Comme le grec ancien quoi. Et puis, il y a des adultes que ça intéresse sûrement. Il y a même des adultes ou semi-jeunes talentueux qui voulaient vraiment venir chez nous apprendre ça, ou un autre des arts qu’on enseigne, et qu’on tèj parce qu’ils sont trop diplômés – dans le système scolaire français il est très mal vu de régresser en terme de diplôme. Par exemple tu prépares pas un CAP après un bac. Même si tu n’as découvert ta vocation de flumassière qu’à 19 ans mais que t’es certaine que là, c’est sûr, c’est le boulot de tes rêves et bin pas de bol, t’oublies ton rêve, l’orientation ça se faisait en 3ème coco. Evidemment, les élèves qui sont affectées chez nous en fin de 3ème, elles sentent direct l’arnaque. En général, elles ont eu le malheur de dire à leur conseillère d’orientation que, à part les cheveux et les nenfants, elles aimaient bien la mode. T’as 14 ans, on te demande ce que t’aimes, tu réponds « bin la mode, les fringues » normal, et zou, direction BEP couvre-chef. 
Je ne remets évidemment pas en cause le talent des profs et le devoir de transmission de leur savoir-faire. Mais il y a un truc de pourri dans le fonctionnement de l’Education Nationale et plus précisément du rectorat de Paris. D’abord, notre section noderie a été pendant plusieurs années une classe « réservée » comprendre réservée au pire. Ce qui faisait qu’à de bonnes élèves qui étaient motivées par la noderie – ça existe – on leur déconseillait de venir chez nous, au risque de 1°) se faire manger par nos monstres 2°) oublier jusqu’à l’existence de la conjugaison des verbes. 
En plus, visiblement, au rectorat, ils croient primo aux races, deusio au déterminisme tercio au déterminisme par la race. C’est comme ça que toutes les élèves chinoises parlant peu ou pas le français se retrouvent chez nous parce que vous comprenez, avec leurs parents enfermés dans des ateliers clandestins du 11ème arrondissement, le textile ça les connait bien.  
Bref notre établissement a connu une dégringolade assez vertigineuse – jusqu’à atteindre une année un magnifique 0% de réussite à l’examen de noderie. Quand on passait dans les couloirs avec meilleur ami, on se croyait en pleine cour des miracles. Heureusement, les deux derniers proviseurs ont décidé de gueuler auprès du rectorat pour qu’ils arrêtent de nous affecter des élèves en dépit du bon sens. 
Le niveau commence donc à remonter petit à petit mais à mon grand désespoir je ne serai pas là l’année prochaine pour assister à ces progrès si émouvants parce que ma vie de pigiste ressemblera évidemment à ça : 

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2 commentaires pour “Je lève le mystère”

  • je comprends mieux ta motivation pour ton (ex-)taf

    ma plus sincère compassion.

    le 14 juillet, 2010 à 3 h 31 min
     
  • pfiou! Et dire que j’aurais pu faire carrière en noderie ayant grandi dans l’atelier de mes parents couturiers ET immigrés ET à Strasbourg-St-Denis. Des fois on passe vraiment à côté de la chance de sa vie just like that.
    crotte.

    le 20 mai, 2011 à 11 h 53 min
     

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